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Cette sorte de langue a disparu. Aujourd’hui, les gars de la Chapelle et les filles de la rue de Flandre, ou de ces quartiers singuliers que l’Administration a nommés Amérique et Combat, chantent comme des phonographes. Par la radio et le disque, le dix-neuvième arrondissement ressemble, en 1938, aux autres arrondissements. Les tripiers, les avocats qui pratiquent le système du crédit en matière de divorce, les proxénètes que les petits lots de la « Nationale » enrichissent doucement, les figurants des Bouffes du Nord, les employés de la navigation fluviale, les marchands de vins du quai de l’Oise et les garagistes de la place de Joinville sont pour le confort, et ne dédaignent pas d’écouter Faust ou la Neuvième quand leur haut-parleur huileux et courtaud vomit de la bonne musique.

Contrairement à une légende entretenue dans la cervelle des jeunes bacheliers par des papas casaniers, la Chapelle n’est ni un quartier de crimes, ni un quartier de punaises. C’est un endroit charmant, et même sérieux. Mais sérieux dans le sens où le mot s’applique à un bourgogne, à un cassoulet ou à un brie de Melun. C’est un plat sérieux.

Une preuve de cette dignité nous est fournie par les maîtresses bourgeoises que des industriels ou des représentants du centre parisien viennent retrouver, à la Chapelle ou plus bas, autour des gares du Nord et de l’Est, dans des restaurants de bons mangeurs, dans des brasseries discrètes et vastes où l’amour est fait pour