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ment fouineurs vers les cimaises et les ateliers du lieu, c’était le taret politique, qui déjà commençait à forer le monde : ils venaient y voir des hommes de gauche. Asile de la révolution artistique, Montparnasse devint le refuge de la révolution sociale. L’esthète bolchevik Lounatcharsky y discutait de la beauté selon les formules de Karl Marx, Trotsky y jouait aux échecs avec sa tête de congre américain, Charles Rappoport enseignait aux soucoupes le matérialisme économique. Lénine lui-même, qui préférait le café du Lion, 5, avenue d’Orléans, y apparut quelquefois. Un jeune gérant du quartier dit un jour à Sem, qui se trouvait là à son corps défendant :

— Si nous n’étions pas des ingrats, nous devrions élever ici, entre autobus et kiosques, des statues de Lénine, de Mussolini, de Hitler et autres. Ce sont ces messieurs qui fournissent ou renouvellent notre clientèle.

Nous avions déjà remarqué, Charles-Louis Philippe, Jarry et moi-même, que la crise, ou les crises, sont des mots inconnus en Montparnasse, et il me souvient d’avoir développé la chose, il y a trente ans, chez Mme Exoffici des Enviandes, en compagnie de Régnier, de Valette et, je crois, de Tailhade. Qu’il y ait ou qu’il n’y ait pas rareté d’argent, Montparnasse installe toujours en plein trottoir des terrasses bourrées de buveurs. Il s’agit donc bien non pas d’un quartier comme les autres, pourvu de banques, de tabacs et de jambon, mais bien d’une Pales-