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chahuteurs oisifs et bourreurs de blagues ont transformé en futur dictateur. La maison se recommande par ses bridgeurs et son peloton de littérateurs, purs ou bohèmes, composé de Billy, de Fleuret, et parfois de Benoît, que caressent du regard quelques transfuges de chez Lipp, commerçants lettrés que le manque de terrasse de la brasserie fait émigrer.

Lipp reste pour moi l’établissement public numéro 1 du carrefour et évoque par instants l’autorité de l’État, depuis que l’on s’est aperçu que le patron joignait à ses nombreuses qualités celle de ressembler à Pierre Laval, auvergnat comme lui, mais d’un autre tonnage… Il y a quelque trente ans, je suis entré pour la première fois chez Lipp, brasserie peu connue encore et que mon oncle et mon père, ingénieurs spécialisés, venaient de décorer de céramiques et de mosaïques. À cette époque, tous les céramistes faisaient À peu près la même chose. Style manufacture de Sèvres, Deck ou Sarreguemines. On ne se distinguait entre artisans que par la fabrication, les procédés d’émaillage ou de cuisson, la glaçure plus ou moins parfaite. Aujourd’hui, quand je m’assieds devant ces panneaux que je considère chaque fois avec tendresse et mélancolie, je me pense revenu à ces jours anciens où je ne connaissais personne à la brasserie. Mes premiers camarades de banquette sont contemporains de l’après-guerre, d’Espezel, Marchesné, Bouteron, Longnon, tous quatre archivastes-paléogriffes, comme dit Mallon, qui en est un autre. Je ne vous conseille pas