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Champs-Élysées, la politique ou les grandes affaires.

En attendant ce miracle, la population campe, patiente et résignée, sur les trottoirs, rêve devant les étalages de livres de prières, les mystères talmudiques, qui ressemblent sous le verre des vitrines à des tapis, les romans d’amour ou de sport en langue hébraïque, dont les caractères évoquent des dessins de grilles, des formes de guisarmes ou d’artichauts, des gardes de sabres. Les plus ardents achètent chez le marchand de fétiches et de cassolettes ces porte-bonheur, pareils à des cure-dents, appelés mezuzas, et que l’on fixe chez soi, à côté de la porte d’entrée, de façon à les avoir sous les yeux à tout moment, et surtout quand on rentre dans un intérieur misérable à ces heures tardives où l’argent et l’amour manquent.

Le matin, des vieillards barbus et ridés, mélanges de génie et de crainte, de grands promeneurs accablés et pensifs, que l’on devine malicieux et instruits, qui ont à la fois l’air de transporter des fardeaux de nostalgie et de détenir des secrets, de vénérables marchands tombés de quelque musée hollandais s’acheminent sans rien voir vers la synagogue, comme des chefs, et le prolétariat juif de la rue des Rosiers les regarde avec envie et stupeur, car ils sont sages et riches.

Pour le chrétien que trouble la chose juive, un ghetto est toujours plein d’énigmes. Celui de Paris est enjolivé d’enseignes ravissantes, de ré-