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sur dix, ils traînent d’une boutique à l’autre, chuchotent, glissent, immensément paresseux, et passent et repassent devant les pâtisseries et les merceries saumurées et fétides de ce quartier où les mousquetaires venaient autrefois se battre en duel.

Des journalistes de Londres ou de Berlin s’évertuent parfois à les photographier. Mais les vieillards deviennent alors prodigieusement agiles. Il faut les traquer comme des hyènes. Un journaliste particulièrement heureux réussit à en pincer un par hasard, à le coincer entre deux piles de bouquins et à le « prendre » dans un clignement de Leika. Le vieux se détendit alors, projeta ses bras en avant, chercha à avaler l’appareil, et se jeta dans la rue en ameutant tous ses collègues en âge et en saleté par des hurlements de monstre mourant.

Affublées de perruques de soie ou de crin, maquillées, souvent tatouées, maladives, grasses, laides à faire peur, des femmes énigmatiques soulèvent et abaissent leurs paupières larges sur ces faits-divers qui ne peuvent qu’appeler sur ce lopin de terre juive en France les foudres d’Israël. On aperçoit pourtant par intervalles, dans un magma de vieilles chairs, quelque beauté fulgurante. De vraies gazelles aux joues de cire parfumée, des filles de Shéhérazade, des Sultanes aux yeux d’aiglonne et qui font rêver le passant. On se retourne : elles se sont déjà confondues à leur famille épaisse. Ces étranges vierges sont aussi recherchées par les littérateurs de rencontre