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dont on aimerait de savoir comment ils s’y prennent pour faire sortir des truites de leur canotier ?

— Voyons, Monsieur, me disait un jour une belle femme avide de s’instruire. Nous voici ensemble devant ce canal Saint-Martin pour lequel vous professez une passion maladive. Nous nous penchons ensemble sur cette eau immobile et sombre. Aucune voix ne monte pour moi de ce spectacle qui vous dit tant de choses. Demain, cependant, je lirai sous votre signature, dans quelque revue, des observations qui me frapperont par leur justesse ou leur poésie. Comment faites-vous ?

Ce « comment faites-vous ? », on sait qu’il a poinçonné, comme un taon, les oreilles de Racine, de Baudelaire, du père Hugo, de Mallarmé, de Rimbaud, de Cézanne, de Debussy ; qu’il travaille celles de Valéry, de Picasso, de Pierre Benoît, de James Williams, de Joe Louis, de Di Lorto, de l’homme qui a vaincu la roulette, aussi bien que celles, plus ductiles encore, de Greta Garbo. Il y a, dans l’Art et dans le Sport, des questions de chambre noire et d’alambic qui passionnent les foules. Et je me mets à leur place. Quand j’étais jeune, je rêvais des minutes entières sur une image qui représentait un pygargue en train d’enfoncer, la tête sous l’eau, ses serres dans le dos d’un gros brochet. J’imaginais le rapace planant à une hauteur considérable au-dessus de la rivière, et, brusquement, aussitôt qu’il avait aperçu le poisson dormant et niellé,