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sur place, dont mes baisers déjà violaient la gorge, m’expliqua qu’elle s’était arrangée pour sortir à neuf heures et ne rentrer qu’à onze. Où je voudrais, elle se rendrait. J’allais lui parler de l’auberge, quand une idée subite me vint. Ne pourrais-je demander à Germaine de nous prêter sa chambre ? Pour toute réponse Hubertine cacha sa brune tête dans ma poitrine. J’appelai Germaine, et tout fut convenu en franche camaraderie. Elle trouverait Hubertine à neuf heures, aux abords du chantier, et l’amènerait à la chambre, où je la rejoindrais. Jouer ce rôle l’amusait, et l’on eût dit que depuis trois mois nous couchions ensemble. Mme Boulard parut. Hubertine régla la facture et s’en retourna. « Tu t’en payes, Félicien », plaisanta la petite servante, qui pour la première fois employait avec moi le tutoiement.

Combien fébrile fut mon impatience jusqu’au soir ! Je comptais les minutes. J’abrégeai mon dîner, je trompai la vigilance de Claire, et, à huit heures et demie, je courus au chantier, me glissai chez Germaine et m’y couchai, attendant les délices offertes. Vaine attente ! Dix heures sonnèrent à une église, puis le quart sonna, puis la demie. Apostée dans la cour de la scierie, Germaine, à onze heures, crut pouvoir se libérer de sa fatigante faction.

Quelle déception cruelle ! Une impossibilité avait dû, au dernier moment, se dresser devant Hubertine. Je ne songeai pas un instant à me rabattre sur Germaine, qui, m’épargnant les commentaires, se coulait dans son lit. Je lui dis bonsoir et m’en allai. Je me couchai sans lumière. Claire m’appelant à travers la cloison, je la priai de me laisser dormir. À l’aube, je fus tiré du sommeil par sa caressante offensive, à laquelle je ne fis pas résistance. Les désirs dont j’avais brûlé pour ma virginale amie, elle en eut le copieux profit, et nous restâmes au lit jusqu’après huit heures. C’était ma dernière journée à Orléans et les préparatifs de mon départ allaient l’emplir.

Claire était repassée chez elle. Elle revint, me remit une petite boîte dans laquelle je trouvai une montre en argent et sa chaîne, une de ces giletières à glands qu’on voyait se pavaner sur les ventres bourgeois. La petite clef