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couchai. À travers la cloison, nous nous souhaitâmes une bonne nuit.

Je dormis d’un sommeil pesant, et ce qui m’éveilla, ce fut, sur les six heures, un frappement bref à ma porte. Je me doutai que c’était elle. Elle me dit qu’elle n’avait pu fermer l’œil, qu’elle était folle de moi, et nous nous abandonnâmes à l’amour.

À huit heures nous prenions de compagnie le café au lait, dans la salle à manger, après quoi Claire, dont c’était le chemin, m’accompagna jusque chez les Boulard, sans que rien nous trahît dans notre attitude. Je la retrouvai à midi, où sa nervosité fut remarquée par nos compagnons de table. La plupart du temps, après le déjeuner, je montais à ma chambre et j’y bricolais en attendant l’heure du retour au bureau. Elle m’y suivit, ne me tint quitte qu’au prix d’un cavalage pour lequel, il est vrai, je ne me fis pas prier. De la fouiller ainsi, tout habillée, à la retrousse-cottes, je connus une excitation singulièrement vive. Quelle journée ! Le soir, dès après souper, nous étions ensemble au lit, dans sa chambre, plus coquette que la mienne, plus nid d’amoureux. J’y passai la nuit, et si nous eûmes trois heures de trêve, ce fut bien tout. Je n’avais pas encore dormi aux côtés d’une femme. Volupté sans égale ! Le plaisir était là, nu sous ma main, et pour le goûter il me suffisait de sortir du sommeil. J’en usai, et trop, Claire s’appliquant à me ranimer sans cesse. Au matin comme je lui révélais ma situation fausse à l’endroit de mes parents, et que mon père m’ordonnait de revenir à Saint-Brice (je venais de recevoir une lettre pressante), elle eut une crise de larmes qui me trouva désemparé. Je n’avais pas assez l’expérience du caractère féminin pour recourir aux beaux mensonges des serments de fidélité, toujours efficaces. Je la rebourrais, pensant la consoler, mais je la désespérais plus encore. « Mon chéri ! mon amour ! » gémissait-elle. Et dans son désespoir elle détendait de furieux coups de reins, auxquels il me fallait bien répliquer. Je n’en pouvais plus et je m’endormis contre sa poitrine. Elle pleurait quand, au jour, je me réveillai sous ses baisers. Elle m’enserra et je dus la reprendre.