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« Tu reviendras, mon petit ? Dis-moi que tu reviendras. » Je promis. Je l’embrassai sur la joue, pour en finir. Et je m’évadai, franchis l’allée sordide, m’élançai d’un bond dans la rue, chantant, sifflant, saluant d’une joyeuse ritournelle une raccrocheuse qui me donnait le bonsoir.

J’avais l’impression qu’en moi s’épanouissait une vie nouvelle. Le puceau n’était plus. Je m’en allais, allègre et fier, adressant aux filles des sourires impertinents. Un long temps me séparait encore de l’heure que m’avait fixée Morizot, tant la passade avait été rapide. Je décidai de m’acheminer vers le lieu du rendez-vous en faisant quelques détours, mais j’étais si enfiévré qu’en peu d’instants je fus à l’extrémité de la ville, devant l’auberge du « Grand Relais », que signalait l’enseigne peinte d’une diligence des Messageries impériales.

À l’entrée de la première salle, une jeune servante sommeillait. L’aubergiste jouait aux dominos avec des hommes en blouse. Il vint à moi, me serra la main.

— À quelle heure comptez-vous repartir pour Saint-Brice ? me demanda-t-il.

Je lui répondis qu’à cinq heures mon ami serait là. Nous mangerions un morceau et nous attellerions.

— Entendu, fit-il en se rasseyant. Vous donnerez une double avoine au cheval, Mélie.

La sommeillante servante se leva. C’était une grosse fille rougeaude et mafflue. Elle frotta ses yeux endormis, et qui papillotaient.

— Vous m’avez compris, Mélie ? insista l’aubergiste.

— J’y vas, monsieur, ronchonna-t-elle, dans un bâillement.

Elle s’en alla d’un pas gourd, en traînant ses galoches. Je sortis et me tins un moment sur la route. La nuit tombait. Des rouliers venaient d’arrêter leurs voitures. Des coups de fouet claquaient dans le lointain. Les écuries s’ouvraient là, au fond d’une cour capable de recevoir, les jours de foire, toutes les carrioles du canton. Mains au dos, je m’y dirigeai. Elles étaient aussi vastes que la cour, mais trois chevaux seulement s’y trouvaient, dont le nôtre, une vieille rosse nivernaise que cette première traite de