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Dijon. Elle connaissait Saint-Brice et me nomma plusieurs personnes du pays. Ce dialogue épuisé, elle défit son caraco, retira sa cotte. Je demeurais coi, feignant de prendre intérêt à un daguerréotype accroché au mur, le portrait barbu d’un zouave. Je retrouvais l’anxiété charnelle de tout à l’heure. « Vous ne vous défaites pas ? » me dit-elle. Je me débarrassai de mon manteau et de ma veste, dégrafai ma ceinture, déboutonnai mon gilet. Sensation bizarre ! À mesure que je me dévêtais ainsi, mon anxiété disparaissait. Je sifflotai. Elle se déchaussait, roulait ses épais bas de laine blanche. « Voyez, reprit-elle, j’suis propre. » Je me retournai et la vis nue. Mais je n’osai promener mon regard sur l’ensemble de son corps, et pour me mettre à l’aise je souris à ses yeux, qui étaient gris et ourlés de rides. Elle arrangeait sa résille. Quelque chose l’agaça, car elle tapa du pied, ce qui me fit loucher vers les rehauts pileux de ses cuisses. Alors elle s’avança, bras ouverts, et, collée à moi, me dirigea vers son lit.

J’y roulai sur elle, sous la courtepointe, ses lèvres en ventouses écrasant mes lèvres. Ma gaucherie la surprit : « T’es donc tout neuf, mon petit ? » Elle me fit tâter sa molle poitrine, s’écarta, me guida, et je crus me perdre en elle, qui s’agitait, se détendait, creusait le lit sous sa masse. Elle hoquetait : « Mon petit ! mon petit ! » et je m’abandonnais à ses mouvements, la serrant, m’agitant à mon tour, m’abîmant enfin en un jaillissement qui me laissa tout étourdi, mi-égaré, tandis qu’elle continuait de m’étreindre en se démenant, haletante, chassant l’air comme un soufflet de forge. Volupté trop brève ! Rendu à moi, je vis la chambre pauvre, le lit loqueteux et la fille laide. Elle me serrait toujours et je dus rompre le cercle de ses bras. Je sautai sur le carreau, me rhabillai en grande hâte. Elle ouvrait sur moi des yeux laiteux de somnambule : « Tu t’en vas ? » gémit-elle. Je me penchai, je baisai sa face rouge. J’ouvris ma bourse et comptai sept francs — mes économies. « Tiens », lui dis-je. Mais elle repoussa ma main. « Garde ton argent. » J’insistai. Elle sema les pièces à travers la chambre, puis se levant elle les ramassa, les glissa dans ma poche et, pendue à mon cou, chuchota :