Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/33

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
30

C’étaient des hommes de vingt-cinq à trente ans, gais et gouapeurs, qui se plaisaient à tâter l’œuf sous les jeunes cottes. À les croire, toutes les filles du pays leur avaient fait la politesse d’une culbute en quelque pré. Ils n’en furent pas moins dupes de ma forfanterie de libertinage, et ils virent en moi, si béjaune, un précoce initié des claquedents de Dijon, dont je ne connaissais que les volets clos. Ils témoignaient une familiarité peloteuse à la grosse Agathe Lureau, et cela m’incita logiquement à me réclamer de relations plus anciennes avec cette amie d’enfance. Agathe était courte et large, offrait une face de pleine lune, joues fleuries, fortes lèvres rouges, ronds yeux bleus de pouparde blonde. Elles avaient beaucoup renforci, ses chères fesses, depuis le temps où elle me régalait de leur spectacle, en remerciement de mes attentions ! Sous la clarté brumeuse de l’unique lampe éclairant la salle, ma main esquissa, puis accentua, une reprise de possession qu’un sourire voulut bien encourager. Ainsi fut établie publiquement l’antériorité de mes droits. On me plaisanta sur mon bonheur, et quand il m’arrivait de perdre aux cartes, on ne manquait pas de m’appliquer l’adage populaire attribuant cette malchance aux favoris de l’amour. On proclama qu’elle était ma bonne amie, et non seulement elle ne s’en défendit pas, mais je vis que rien ne pouvait lui être plus agréable. Que de fois, venant à notre table pour nous servir, elle fit avec insistance peser sur moi son opulente poitrine ! Mais j’éludais l’invite. Je feignais de ne pas comprendre. En dépit de mon assurance faraude, j’hésitais devant l’acte du premier accolement.

Parmi ces amis nouveaux, le « voyer » Morizot avait ma préférence. Petit et maigre, la figure chafouine et l’œil myope, il était le boute-en-train de notre société, nous prodiguait une verve pironienne, une intarissable imagination de rigolo. Il réunissait en lui tous les vices, et Saint-Brice n’offrant pas un terrain propice à leur développement, il se rendait de temps à autre à Dijon, afin, disait-il, de s’y dérouiller. Entendons par là qu’il y ripaillait en compagnie de dames peu coûteuses. Au retour, il nous renseignait par le menu sur ce qu’il appelait