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Grande et semblant taillée dans du marbre, elle était d’une rare distinction. Nous nous convenions et nous nous étions entendus. Elle m’avait fait la promesse d’être à moi cette nuit même.

Je n’avais rien ménagé. Le maître queux de la Closerie nous servit un repas de gourmets que des vins de haute marque arrosèrent. Dès le dessert ces dames étaient à peu près nues. L’artillerie du champagne péta. Les liqueurs furent versées à ras bord. On chanta. Tous les refrains de beuglants y passèrent. Détaillant le couplet sentimental, Marie-Antoinette, qui depuis un instant livrait à mes mains l’éclatant contenu de son corsage, révéla un émouvant contralto qui fit tressaillir en moi le candidat au bonheur. Pour ma part, enfin, puisant dans mon répertoire de rimeur, je clamai des poèmes inspirés d’Éros et de Bacchus, qu’accueillirent les bravos auxquels on m’avait de tout temps accoutumé. On ne m’accusera pas d’avoir trop répandu mes vers à travers ces pages, et c’est pourquoi je veux reproduire ici certain sonnet que je débitai pour la première fois ce soir-là, et que dès le lendemain les échos du boulevard Saint-Michel répétèrent, un sonnet qui, je crois, marque bien ce qu’était alors mon lyrisme de Quartier latin. Je l’appelais Chanson joyeuse :

Amis, encore un carafon,
Et que nos trognes renfrognées,
Enfin congrûment imprégnées
Se lustrent d’un vernis bouffon !

Au tonneau faisons des saignées
La meilleure goutte est au fond.
Obscurcissons notre plafond
Pour n’en point voir les araignées.

Honneur à celui qui rira
Le plus de nous tous, larira !
Honneur à celle, larirette,

Qui, faisant son amant cocu,