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CHAPITRE NEUVIÈME

Retour au Quartier latin. Pierrette Rives.
Plaisirs de Montmartre. La Manola.
Une nuit de « crémaillère ».

Je regagnai la capitale le 6 juin, après dix mois d’absence. Que de ruines ! Depuis les premiers jours du siège, mon bureau de la rue Saint-Martin était vide. Mon employé, M. Leclerc, avait mis mes dossiers en lieu sûr. Je fis choix d’un autre local, rue de Buci, où je m’installai dans des meubles que j’eus à bon compte, l’argent étant rare. Je revins habiter l’hôtel de la rue Monsieur-le-Prince, où les Piquerel n’étaient plus. Je repris M. Leclerc, j’adressai une circulaire à mes clients et j’attendis. Mais l’année s’acheva dans le pire marasme. Ce ne fut qu’au printemps de 72 qu’on vit poindre une reprise des affaires. Les décombres tragiques disparus, la vie de Paris se ranimait peu à peu.

Avant tout autre le Quartier latin recouvra son entrain, son décor de débauche allègre et facile. De mes trois amis d’auparavant, seul me restait le petit et joyeux Viallet, étudiant à perpétuité, infatigable compagnon des heures nocturnes. La province retenait le gros Barjoze, qui cultivait quelque part la médecine ; Dherbaut, licencié en droit, avait décroché dans le Nord une justice de paix. De toutes ces dames, nos dames, quelques-unes seulement reparaissaient, plus fatiguées par quelques mois de siège que par dix années de noce. Je rencontrai Bibiane, qui vit en moi un héros et, m’entraînant chez elle, rue Racine, m’octroya séance tenante ce qu’elle jugeait être une récompense