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dans une pièce au sol dallé, que meublaient une longue table et deux lits. Le chien aboyait avec fureur, ses fortes pattes battant la porte. Elle baissait les yeux, gênée, et comme je l’embrassais elle croisa ses mains à mes épaules, laissant mes baisers s’aviver dans la tiédeur de son corsage. Elle me les rendait dans le cou, posément. Nous butâmes sur un lit. Nous restions muets l’un et l’autre, mais je voyais bien qu’elle consentait. J’étais pressé, avide. Sept mois d’abstinence ! L’impétuosité de mon entrée en jeu lui fit jeter un cri. Ce fut rapide, mais elle était prête, et je l’eus dans une crispation nerveuse de sa bouche sur la mienne. Le chien hurlait, à présent. Elle craignit qu’on ne vînt. Elle ouvrit à l’animal qui se rua, grognant, flairant l’air, sautant autour de moi de façon peu rassurante. Arrêté sur la route, un paysan regardait. Vite elle me dirigea vers une sortie donnant sur les cultures, en m’indiquant le chemin que je devais suivre. Nos bouches se dirent au revoir et je m’élançai dehors.

Je la revis régulièrement, toléré par le chien jaloux. Presque chaque jour elle venait à l’ambulance. Elle prenait nos amours très au sérieux, pensait que je l’épouserais sitôt après la guerre. Deux mois passèrent et l’armistice du 28 janvier fut conclu, signalé par une grandiloquente proclamation de Garibaldi, commandant général de l’armée des Vosges, qui qualifiait de Côte de Fer la Côte-d’Or bien meurtrie. Ce furent enfin, le 26 février, les préliminaires de la paix. On nous libéra. J’échangeai mon uniforme de sapeur contre le costume de bonne coupe qui depuis septembre gisait dans ma valise. Quand, ainsi transformé, je reparus devant Angèle, elle hésita d’abord à me reconnaître, puis se prit à pleurer. « Vous êtes un trop beau monsieur. Je m’étais fait des idées bêtes. » Elle se dévêtait, pourtant, se prêtant à mon approche. « Je suis heureuse malgré tout si je vous ai donné du plaisir », me dit-elle. Je l’en remerciai. Elle était agréablement bâtie, soigneuse de son corps, et je gardai d’elle le souvenir de repas d’amour substantiels et sains.

Je quittai Dijon le 4 mars pour me rendre à Saint-Brice. Toute la région de Saint-Jean-de-Losne avait durement