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Bibiane pleurait, criait devant un verre de menthe, en dédiant aux Prussiens les vertes épithètes qui fleurissaient son répertoire. Elle maudissait la guerre, qui lui prendrait tous ses amants. Je la consolai. Je l’emmenai coucher. Elle voulait savoir si j’irais à Berlin. « Ça ne dépend pas de moi, ma petite Bibiane. — Il faut y aller », prononça-t-elle. Je le lui promis. À six heures du matin, je la mis amicalement à la porte en lui donnant l’assurance qu’avant trois semaines tout serait terminé. J’étais prêt. Bouclant ma valise, je sautai dans un fiacre pour me rendre à la gare de Lyon.

J’y tombai sur des ahuris qui déclarèrent ne rien comprendre à mon histoire. Ils me dirent qu’avant tout je devais me faire équiper. Je revins à la section ; on me conduisit à la caserne du Prince-Eugène, où je demeurai huit jours en mes vêtements de civil. Je reçus un fusil ; on me fit faire l’exercice. On m’ordonna, ensuite, de rejoindre au Champ-de-Mars une compagnie de gardes mobiles, avec lesquels je campai sous la tente une quinzaine de jours. Enfin, comme je me récriais, me réclamant du capitaine Quincette et invoquant mon incorporation dans le génie, je fus invité à gagner Dijon par les voies les plus rapides. Les trains vers la Bourgogne étaient bondés, à n’y pouvoir fourrer un œuf. Trois jours j’en attendis un, sans quitter la gare, où les convoyés futurs s’étaient organisé une vie bien tranquille, dans une salle d’attente. On arrivait à septembre quand j’atteignis Dijon, d’où, pour un peu, on m’eût réexpédié sur Paris, tant ma présence y parut inexplicable. Fort heureusement, j’étais en règle. Les bureaux du génie m’identifièrent. On m’équipa et j’entrai aussitôt en fonction au titre de sapeur.

Mais je ne me propose pas de raconter la guerre. Simplement, je dirai le rôle que j’y jouai, et qui fut modeste. Le Comité militaire de la Côte-d’Or était composé du chef du génie, du commandant de la légion de gendarmerie, de deux ingénieurs des ponts-et-chaussées et d’un ingénieur des mines. Quand j’arrivai à Dijon, où les gardes nationaux mobilisés faisaient l’exercice à la bonne franquette, sous le paterne commandement d’anciens troupiers qui ne