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j’en fais franchement l’aveu. Elle riait aux éclats, toute pétillante de vin de champagne.

— Il vous serait bien difficile de m’offrir Mabille, à présent, me dit-elle sur un ton de nargue. S’il n’était pas fermé, peut-être y serais-je allée avec vous.

— D’autres bals sont ouverts, mademoiselle. Je suis prêt à vous y conduire.

— Oh ! je ne me vois pas vous suivant à Bullier, monsieur Fargèze.

— Il y a Valentino, et l’orchestre y est excellent.

— Merci. Je n’irai pas là.

Mais elle eut la fantaisie de prendre une glace dans le Parc, au restaurant Viennois, et nous nous y assîmes. Une coupe de champagne arrosa la crème aromatisée.

— Je m’en vais, fit-elle après cela. Je vous permets de m’accompagner jusqu’à l’omnibus.

— Vous ne me ferez pas l’injure de refuser une voiture ? dis-je, en lui offrant le bras.

— Prenons une voiture, si vous voulez.

Je fis signe à un fiacre clos qui consentit à s’arrêter. (Depuis l’ouverture de l’Exposition, le bon plaisir des cochers devenait de jour en jour plus tyrannique.) Elle y prit place.

— À Neuilly ! ordonnai-je, en ajoutant à mi-voix : « Ne vous pressez pas trop, le pourboire sera bon. » L’homme au fouet me comprit.

— Que diriez-vous d’une petite promenade jusqu’à la Reine Blanche, mademoiselle, insinuai-je alors. Le temps d’une valse. Cela ne nous détournerait pas beaucoup.

Elle eut un mouvement qui, je crois, était de refus, mais déjà je criais l’ordre.

— À la Reine Blanche, d’abord, et vite !

— Le temps d’une valse, soit ! concéda-t-elle.

J’y étais toujours comme chez moi, à la Reine Blanche. Tout le monde y connaissait M. Félicien, et j’avais là des camaraderies vieilles de dix ans. Éva fut éblouie par les girandoles du gaz, délicieusement étourdie par le fracas des cuivres. Je l’emportai dans le tourbillon de cent couples. Elle voltigea, telle une sylphide. Au rythme sur