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une telle amitié amoureuse que la fragile barrière qui nous séparait tomba tout d’une pièce. Isabelle Abrial m’accorda ses faveurs, et j’en fus ravi. Elle était d’une réelle beauté. Je caressai l’une des plus impeccables poitrines que j’eusse connues jusque-là, digne d’enrichir l’écrin de mes meilleurs souvenirs. Je pressai des flancs dont la souple courbe était enchanteresse, et je commençais d’y être expert. Tout cela, qu’assaisonnait l’esprit le plus parisien, n’avait été que pendant quelques mois la propriété d’un mari, mort peut-être de s’en être trop gloutonnement repu. Il ne me restait plus qu’à tenir la promesse que j’avais faite un peu à la légère. Mais ne devais-je pas, moi aussi, me pourvoir d’un emploi ?

C’est alors que j’eus l’idée d’ouvrir un cabinet de copies, en utilisant mes relations déjà nombreuses. J’avais les noms des clients de Marchant, écrivains de théâtre ou feuilletonistes. Je rédigeai, en pensant à eux, une lettre-circulaire bien tournée. J’en fis part à mon père, qui m’envoya sans discuter les six cents francs dont je lui disais avoir besoin pour réaliser mes intentions. Je louai rue Saint-Martin, au rez-de-chaussée, sur la cour, un petit appartement meublé composé d’une antichambre et de deux pièces, bureau et salon, d’un loyer mensuel de soixante-dix francs. J’arrangeai tout avec le concours d’Isabelle et je lançai ma circulaire.

Mes prix étaient sensiblement inférieurs à ceux de Marchant. Aussi quelques travaux me furent-ils confiés, suffisants pour occuper deux plumes. Mais une autre idée me vint, plus heureuse encore : on parlait beaucoup d’une vaste entreprise, l’Exposition universelle, décidée pour 1867. La Commission impériale en était constituée. Pourquoi n’étendrais-je pas de ce côté-là mes offres de service ? En hâte je rédigeai une circulaire spéciale destinée au commerce et à l’industrie. J’y proposais des copies, et, à tout hasard, des correspondances en toutes langues. J’en fis imprimer cinq cents, que j’envoyai ou distribuai. La circulaire était adroite et quelques réponses m’autorisèrent à croire qu’elle avait porté. Tout allait bien. Le bilan de mes six premiers mois fit ressortir un assez joli bénéfice :