Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/221

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
218

Gabrielle me prévint en renseignant sa sœur, qui se félicita de notre accord. Dès ce jour-là je dormis avec l’une ou avec l’autre, quand ce n’était pas avec l’une et l’autre. Elles étaient extraordinairement pareilles, au plus minime accident près, leur similitude absolue allant jusqu’aux grains de beauté découverts par moi sous le sein droit et contre la hanche gauche. Nous nous amusions à la confrontation de leurs académies. « Elle a comme moi ceci », indiquait Gabrielle. « J’ai cela comme elle », révélait Françoise. Le plus petit détail nous retenait, poil après poil. Fallait-il que nous eussions du temps à perdre !

Mais si la nature avait pétri deux mêmes corps, elle en avait varié les ressorts animateurs. Gabrielle était plus capable d’affection que Françoise, mais celle-ci avait des réactions passionnelles plus vives. Allant de Françoise à Gabrielle, je trouvais deux âmes différentes sous une matière identique, cette dualité dans l’unité multipliant mes transports. J’ajouterai que ces petites, qui toujours avaient fait lit commun, s’étaient de bonne heure initiées à un intime échange d’émotions charnelles. Elles en renouvelaient devant moi l’alerte et subtil jeu, la grâce lascive qu’elles y apportaient n’étant pas pour tempérer mon éréthisme. Cela me conduisit à des excès que mes amis lurent sur mon visage. Ils m’en plaisantèrent. Je dois dire ici qu’ils ne savaient pas grand-chose de mes amours nouvelles. Les deux sœurs sortaient ensemble, seules. À l’hôtel, où nous nous enveloppions de silence, nul ne s’occupait de ce qui se passait derrière ma porte. Et si Mme Piquerel ne venait plus me demander l’heure, ce qui montrait qu’elle n’ignorait rien, je pouvais faire confiance à son entière discrétion.

On sut cependant tout, au-dehors. Mon étonnement fut extrême de recevoir de mon père une lettre d’admonestation à propos des « sœurs Liaubert », qu’on lui disait être entretenues par moi. Je lui répondis que ce n’était qu’un commérage, et il en demeura là. Mais un jour que j’étais attablé au restaurant, les jumelles dînant à une table voisine, un homme d’une cinquantaine d’années entra, sec et voûté, qui alla droit sur elles, stupéfaites. C’était leur