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de mourir ; elle parlait de suicide. Se rebellant contre le sacrifice qui était exigé d’elle, elle me disait — jamais elle ne me l’avait dit encore — son dégoût pour l’homme dont elle partageait le lit. Quitter Paris et tout ce qu’il représentait de raison de vivre ! Elle n’y pourrait venir que trois ou quatre fois l’an, et que ferais-je quand je la saurais loin de moi ? La pauvre Hortense serait bien vite oubliée. Déchirante fut sa crise de désespoir, que mes bras et ma bouche n’apaisèrent qu’à la longue. Je lui multipliai promesses et serments, avec une émotion qui ne demandait rien à la feinte. Il y avait dix-neuf mois, jour pour jour, que nous étions amants. Comme le temps passe ! Cette belle maîtresse aux électriques ardeurs, je l’adorais en dépit de ses soudaines sautes de nerfs, peut-être même à cause de cette névrose qui, si elle l’accablait, l’embrasait aussi. Que d’aiguës jouissances je lui devais ! Nous convînmes de ne rien perdre de ses précieuses dernières heures. Elle viendrait me voir tous les jours, deux fois par jour si elle en trouvait la possibilité. Elle me consacrerait plusieurs nuits entières, le capitaine devant se rendre à Dijon avant le départ définitif. Elle ne s’en alla, bien abattue, qu’après m’avoir longuement passionné de tout ce que recélait son corps.

Deux semaines épuisèrent nos ultimes bonheurs, et ce fut la séparation douloureuse. Quel pathétique enlacement marqua l’adieu de nos luxures ! Dans les premiers jours de mars 62, Hortense Quincette passait mon seuil pour la dernière fois.

J’eus l’impression d’un grand vide s’ouvrant en moi, et l’obsession des souvenirs me fut si pénible que je résolus d’abandonner cette chambre de l’hôtel Rollin qu’avaient si longtemps emplie mes doubles amours. Aussi bien, c’était à qui déserterait la rue de la Sorbonne, que les démolitions des rues de la Harpe et d’Enfer cernaient partout de chantiers boueux ou poussiéreux. J’allai louer au 5 de la rue Monsieur-le-Prince, qui était à la fois hôtel et restaurant. M. et Mme Piquerel y avaient succédé à Ober, très estimé au Quartier latin, et je choisissais ce gîte en pleine connaissance de cause. Je m’y installai, et cette fois