Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/208

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
205

Ce sont là de ces scènes qui détourneraient à tout jamais d’une femme, si l’amour n’était aux antipodes de la raison. Le piteux visage à griffures que je fis voir à mes amis ! À quels ongles adorés devais-je cela ? L’un d’eux, qui avait sa chambre à ce même hôtel Rollin, connaissait mes visiteuses pour les avoir vues passer. Il parlait gaillardement de la jolie brune, toute simplette ; il faisait claquer sa langue pour dire quelle fleur de coït était la belle blonde. Qui, de celle-ci ou de celle-là m’avait donné cette preuve acérée de son amour ? Mais je ne fus pas très fier de comparaître en cet état devant Jeanine. Elle me demanda ce qui m’était arrivé. Je mis cela sur le compte d’une chute : en glissant, je m’étais labouré le visage sur le sol. « Tu t’es battu, Félicien, voilà la vérité », fit-elle. Puis, me regardant de tout près : « Ce sont des coups d’ongles. C’est une femme qui t’a fait ça. » J’eus beau dire, elle ne consentit pas à me croire. Ses yeux s’embuèrent ; elle pleura. Mais je lui jurai que je l’aimais bien et la preuve que je lui en donnai la rassura suffisamment.

Je parlai tout à l’heure de mes amis. Hortense se désespérait de ne rien savoir de ma vie de brasserie, de ma vie nocturne. À ses interrogations, je ne faisais que des réponses fuyantes. Y avait-il des femmes, parmi ces amis ? Répondre que non eût été ridicule. Eh ! oui, parbleu, il y avait des femmes, les maîtresses de ces messieurs. Mais la mienne n’y était pas, puisqu’elle s’appelait Hortense Quincette. Elle insistait, quêtait des précisions. Elle savait que nous allions du café Soufflet au café Belge de la rue Dauphine, où les jupons étaient plus nombreux que les culottes. Je lui rapportais les mille histoires paillardes qui en pimentaient la bière et la choucroute. Elle riait, mais ne se demandait pas moins quel rôle je pouvais jouer dans ces parties collectives. C’était sa préoccupation constante. « Parmi les femmes qui sont là, n’en est-il pas que tu désires ? Une qui me ressemblerait un peu, je suppose. Avoue. Je t’excuserais d’avoir couché avec elle en pensant à moi. » Je n’avouais rien, bien entendu ; je ne pouvais avouer qu’entre ces houris de brasseries il en était une bonne douzaine qui avaient répété avec moi, en toute