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vous suffira, en vous en allant, de tirer la porte. J’en ai la clef.

Je ne lui donnai pas le temps de me répondre. J’étais dans le corridor, où papillotait la lueur d’une petite lampe à huile. De discrètes gammes musicales descendaient du troisième : l’orgue de M. d’Horchiac préludait.

Dans la rue, j’allai machinalement, bouleversé par cette étonnante aventure. Un insupportable état de prurit me rendait tributaire d’Anaïs. J’irais rue Le Peletier vers les onze heures, ce qui me permettrait d’être exact, à minuit, au rendez-vous de la Closerie.

J’avais très soif. Je m’arrêtai dans une petite brasserie de la rue des Écoles et, après un bon moment, jugeant que Mme Quincette était sortie de ma chambre, je retournai sans me presser rue Saint-Jacques. Mais, levant la tête vers ma fenêtre, qu’éclairait la maigre flamme de mes deux bougies, j’y vis nettement se mouvoir une ombre. Mme Quincette n’était pas partie encore. Je repris ma promenade. Je fis une station nouvelle dans un estaminet enfumé. Et je m’en revins. Surprise ! À ma fenêtre, une femme qui ne pouvait être que Mme Quincette se silhouettait. Elle avait son chapeau ; elle s’accoudait à la barre d’appui. Que signifiait cette persistante présence ? Je montai. Les arpèges de M. d’Horchiac s’impatientaient. Ils malmenaient le beau Dunois de la reine Hortense. J’ouvris. Mme Quincette, très pâle, était devant moi.

— Au risque d’être indiscrète, monsieur Fargèze, je n’ai pas voulu m’en aller sans vous avoir revu pour vous faire toutes mes excuses, sans vous avoir dit toute ma reconnaissance…

— Oh ! Je vous en prie, fis-je, ne parlons plus de ça. Je suis heureux de constater que votre malaise est dissipé.

— Monsieur Fargèze, je n’oublierai pas votre amabilité, votre délicatesse…

Elle me tenait la main. Sa poitrine palpitait, haletait comme tout à l’heure. Nous étions face à face. Mon désir et le sien se faisaient confidence. Je l’amenai à moi. Lentement nos bouches se joignirent. La minute d’après, nous étions amants.