Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/199

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
196

une de ces ridicules caves à liqueurs qui serinaient une aigre musiquette. J’emplis d’anisette deux petits verres de Bohême et lui en présentai un, qu’en souriant elle accepta. Nous trinquâmes. Elle s’égaya, dit que ma chambre était agréable, s’amusa d’entendre un chœur nasillant de tyroliens rassemblés au coin du carrefour.

— Dieu ! Qu’il fait chaud ! s’exclama-t-elle, en jouant d’un petit éventail à monture de nacre.

Elle retira son chapeau, écarta les revers de son corsage. En vérité, la chaleur, au-dehors comme au-dedans, était celle d’un four, bien que d’abondantes averses eussent rafraîchi l’atmosphère dans l’après-midi. « Quelle accablante journée ! » reprit-elle, en évasant le col du vêtement. Elle défit deux agrafes, mit à l’air le seuil moite de sa gorge. « Excusez-moi, fit-elle. La mode inflige aux femmes de véritables tortures. » L’excuser ! Je dis que pour mon goût il y aurait toujours trop d’agrafes. Elle partit d’un rire sec, un étrange rire. Elle respirait à profonde haleine. La mi-côte de ses seins émergeait d’un balcon de guipure. Certainement elle sentit le chatouillement de mon observation, car elle se leva, vint à la fenêtre qui était grande ouverte. Je m’y tins à son côté. Des joueurs de mirliton passaient, arborant à de hautes perches des lanternes vénitiennes. On percevait les accords d’orchestre d’un quadrille. Mais comme, involontairement, je l’effleurais, elle se porta vivement en arrière en jetant un cri. Que lui prenait-il ? Les seins en houle, l’oculaire fixe, elle arrêtait sur moi des regards d’hallucinée. « Qu’avez-vous ? » fis-je, en lui touchant l’épaule. Un mouvement convulsif la secoua et je n’eus que le temps de l’approcher du fauteuil, où massivement elle tomba, gémissant, criant, les talons de ses bottines battant le plancher. Quelle histoire ! Que Mme Quincette eût une crise de nerfs chez moi, c’était bien le pire qui pût m’arriver. On l’aurait entendue dans toute la maison si le vacarme de la rue n’avait couvert ses gémissements et ses cris. Que faire ? Je lui frappai dans les mains, qui étaient de glace ; j’aspergeai son front d’une eau d’ailleurs tiède ; je lui donnai à respirer du vinaigre de toilette. Elle étouffait ; il semblait que quelque chose