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tulle la coiffait, un pardessus mandchou d’un gris d’ardoise déployait son ample décor sur la rigide cage de la crinoline. Que de frais pour un répugnant mari ! Elle ne semblait guère vouée au sacrifice volontaire, pourtant, cette belle Parisienne qui recueillait sur ses pas des murmures flatteurs.

Et je retrouvai Louisette, dont je savais à présent les habitudes. Tous les matins elle prenait sa mesure de lait à une laiterie ambulante installée sur le quai, s’accoudait au parapet pour regarder les bateaux, puis revenait en musant aux boutiques. Je me promettais de la questionner sur sa maîtresse et, dans ce but, de la mener à la Reine Blanche, où mes ailes de pigeon faisaient toujours florès. Mais je lui vis une figure chiffonnée, décolorée, que je ne lui connaissais pas. Mon invitation la laissa hésitante. Qu’avait-elle ? En pleurnichant elle me confessa que son commis de mercerie lui avait passé un mauvais mal. Elle en souffrait et ça la fatiguait beaucoup. Je la remerciai de cette franchise, car j’aurais bien été capable de m’isoler une heure avec elle. Un herboriste lui avait formulé un traitement, qu’elle suivait de son mieux. Je le complétai de quelques conseils. Cependant je ne la lâchai pas pour cela, aiguillant notre causerie vers le ménage Quincette. Elle se reprit à rire, de son rire clair qui était bien de chez nous.

— Je vous vois venir. Vous vous demandez avec qui Mme Quincette couche quand son mari n’est pas là. Car il n’est pas souvent là, vous savez. Toujours en tournée d’inspection, qu’elle me dit. Alors elle va se promener, voilà. Mais quant à dire où… La femme de chambre doit en savoir plus long que moi là-dessus, mais elle se méfierait de ma langue.

Cela ne m’apprenait pas grand-chose. Que Mme Quincette eût un amant, quelque piaffant officier de salon, je le tenais pour hors de doute. Le capitaine passait pour riche ; sa femme n’en était donc pas à rechercher l’entreteneur généreux. Au fait, quel besoin avais-je de pénétrer ce secret ? Ce qui s’agitait sous cette crinoline impressionnante ne devait-il pas m’être complètement indifférent ?