Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/181

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
178

démontrée si évidente, que nous nous promîmes de ne pas la renouveler. Notamment, Jeanine avait observé que sa belle-sœur, Pauline Maillefeu, laide et méchante, qui, un jour que je lui avais pincé les fesses, m’avait qualifié de saligaud, semblait se douter de quelque chose et nous guignait d’un œil cafard.

La suite ne tarda pas. Le 10 mai, la gendarmerie me convoquait d’urgence. J’y fus reçu par un brigadier d’origine dijonnaise, qui me traita en pays. Comme il me questionnait sur mes occupations à Paris, une heureuse inspiration me fit lui répondre que j’y représentais les chantiers à bateaux de Saint-Brice, qu’en Bourgogne tout le monde connaissait. Il ne m’en demanda pas plus. J’en avertis mon père, et bien m’en prit, car la gendarmerie de Saint-Jean-de-Losne vint à son tour le questionner. Tout, alors, se précipita. Pressentant que j’allais être mis en activité de service, mon père parla de moi si à point au capitaine Quincette, en exagérant mes titres professionnels, que le 18 mai je recevais une sorte de feuille de route m’enjoignant de me rendre à Saint-Brice, département de la Côte-d’Or, où tous ordres me seraient donnés. Mieux valait cela que d’aller faire l’exercice dans une cour de caserne, et c’est ce que je pensai tout d’abord. Je n’envoyai pas moins au diable l’Autriche et l’Italie, dont les démêlés bousculaient la bonne vie que je m’étais faite. Le 20 mai au soir, mon sac de nuit bouclé, je disais adieu aux Buizard. Jeanine, désolée, dut se contenir pour ne pas mouiller ses beaux yeux.

Je pris le train de Dijon en laissant derrière moi un Paris qui délirait d’ivresse guerrière, le télégraphe venant d’apporter la nouvelle de la victoire de Montebello. On acclamait Garibaldi, l’Italie, la Lombardie, le général Forey, vainqueur de l’Autriche. Je les entendis acclamer toute la nuit dans mon wagon à soldats, où soixante héros futurs s’entassaient, qui ne s’arrêtaient de gueuler que pour se gargariser du tord-boyaux de leur gourde. Ils s’évacuaient du bas et du haut dans tous les coins, et jusque sur les banquettes. Je me résignai mal à cette ordure et ce fut