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J’étais loin de m’attendre à la suite. Le 28 avril, la gendarmerie m’invitait à passer au bureau de recrutement. Simple formalité, mais qui me rappela ma situation militaire. J’appartenais à cette réserve que constituaient les jeunes gens auxquels un bon numéro à la loterie de conscription avait valu d’échapper à la caserne, et je demeurais à la disposition du commandant de dépôt. Cela ne laissait pas de m’inquiéter, une extrême activité guerrière se manifestant dans Paris. On mobilisait avec une hâte fébrile. Devant le quartier Napoléon, la foule ne cessait d’acclamer des troupes se préparant à partir. Je sus par Buizard que la batellerie était l’objet de réquisitions immédiates, et qu’on avait alerté tous les éclusiers. Le 1er mai, je recevais de mon père une lettre m’informant qu’on le mettait en demeure de procéder, par un travail de nuit, et de jour, à la réfection de quantité de péniches. Un officier du génie, le capitaine Quincette, était arrivé de Paris pour prendre la haute direction des travaux à effectuer. Sur son ordre, quinze compagnons venaient d’être embauchés par nos chantiers, et mon père exprimait sa satisfaction de cette soudaine reprise. On n’avait pas vu pareil remue-ménage depuis le départ de l’armée pour l’Orient, en 54. Mais alors la ligne de chemin de fer de Paris à Marseille était encore inachevée sur vingt-cinq lieues de sa section de Valence, et l’on avait dû recourir aux transports par eau pour le matériel et les troupes. Bien moindres étaient les difficultés à présent, la ligne entière étant livrée à la circulation, ce qui incitait le public à conclure que le fracas de cette immobilisation franco-italienne s’expliquait surtout par le désir du gouvernement de frapper un grand coup au-delà des Alpes, afin d’affirmer définitivement en France la puissance impériale. Cela, disait-on, sautait aux yeux.

Aux « Amis de la Marine », c’était la cohue des grands passages de batellerie. La salle ne désemplissait pas. S’évader le matin n’était plus possible pour Jeanine, surmenée. Il m’arriva de la saisir à l’improviste comme la première fois, dans sa chambre, mais l’imprudence nous en fut