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on buvait sec, et les pochettes de ma mère avaient toujours un tintinnabulement d’écus.

Je fus élevé comme un jeune dieu entre ces créatures de bonheur et de santé. On m’avait attendu sept années. Papa désespérait d’avoir un rejeton. Aussi décida-t-on tacitement de s’incliner devant mes caprices. Ma mère me laissa téter jusqu’à vingt mois. Mon père s’étant aperçu que je lorgnais son verre, s’empressa de m’initier au précieux goût du vin. Je grandis ainsi, robuste et volontaire. J’étais remuant et tapageur. Je luttais sur le sable, près de la rivière, avec le gros chien Ravageot, vigilant gardien des chantiers. Mes camarades m’aimaient et me redoutaient à la fois. À six ans on me confia au maître d’école, ou plutôt je me confiai à lui, d’autorité. J’appris tout ce qu’il voulut m’apprendre. Mes parents rayonnaient. À neuf ans je savais par cœur l’histoire de France et le catéchisme. J’étais devenu doux et docile. Je jouais en silence. Je m’efféminais. Enchanté, le curé s’avisa de m’élever à la dignité d’enfant de chœur. « Nous en ferons un beau petit abbé », disait-il. Certes, ma mère n’allait à l’église que pour y donner le pain bénit, et mon père n’y paraissait qu’une fois l’an, le jour de Pâques, mais ils ne se rebellaient pas à l’idée de faire de leur fils un porte-soutane. Ils laissaient dire. En attendant, je servais la messe. La menue cuisine du culte avait en moi le plus zélé des marmitons.

L’après-midi, dès la sortie de l’école, garçons et fillettes s’assemblaient devant notre maison. Nous organisions des parties de quatre coins et de cache-cache. Mais à la compagnie des garçons je préférais celle des filles. Avec elles je jouais à édifier des autels de Fête-Dieu, parés de cailloux et de fleurs. J’inventais de ces jeux innocents où des baisers tiennent lieu de gages. Mes amies choisies s’appelaient Berthe Fillol, Agathe Lureau, Maria Bonbernard, compagnes de catéchisme. Nous étions inséparables. Je les défendais contre la malignité de mes petits amis. Je les récréais. D’une agilité de clown, je me disloquais devant elles ; je sautais à cloche-pied ; je marchais sur les mains. Attentives, elles se tenaient accroupies dans le sable. Je