Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/108

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
105

comme je fouillais un bouquet d’arbres, j’entendis des abois auxquels Furet fit écho. Des coups de fusil crépitèrent. Au même instant un lièvre passa, qui faisait voir du pays à trois chiens lancés à sa poursuite. J’aperçus les chasseurs, assez éloignés encore. Ils venaient de ce côté et me télégraphiaient des signaux que je comprenais mal. Je vis alors Furet barrer la retraite au lièvre, l’amenant à si courte portée de mon arme que j’eus à peine le temps d’épauler. Je tirai et le lièvre fit un saut de carpe, criblé par mon plomb en pleine tête. L’ayant ramassé, je me dirigeai vers les survenants dans l’intention de le leur remettre, car je considérais qu’en conscience il ne m’appartenait pas.

— Mes compliments pour votre sang-froid, monsieur Fargèze, entendis-je crier par l’un d’eux, qui marchait en avant.

Je reconnus la voix de maître Gorguet. Il fut mieux qu’aimable, me présenta aux deux amis qui chassaient avec lui, et qu’il avait amenés de Beaune. J’eus beau m’en défendre, ils exigèrent que je gardasse le lièvre, et nous fîmes chemin de compagnie. Nous approchions de Saint-Jean-de-Losne et l’heure venait pour moi de regagner la maison.

— Vous êtes mon invité et j’entends que vous déjeuniez chez moi avec ces messieurs, déclara maître Gorguet, péremptoire.

Mes objections ne pesèrent pas lourd. Maître Gorguet décida qu’un domestique galoperait à cheval jusqu’à Saint-Brice, afin d’avertir mes parents. Nous fûmes bientôt chez lui, où Mme Gorguet ne se trouvait pas. On se mit à table et j’eus l’émotion de revoir Mme Lorimier, qui faisait les honneurs en l’absence de sa mère. Émotion partagée. Plus pâle que jamais, elle rougissait chaque fois que le service l’obligeait à s’occuper de moi comme des autres convives. Elle cherchait une attitude, se penchait vers son petit garçon, assis auprès d’elle. Elle le caressait, l’embrassait. La conversation fut un pot-pourri d’histoires cynégétiques. J’écoutais peu, ne parlais pas, tout à Mme Lorimier, qui devait sentir sur elle mon mutisme adorateur.