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proverbe, qui menaçait des coups du destin les audacieux qui diraient du mal de Nicolas. J’ai même un ami qui prétend s’être cassé le bras parce qu’il avait osé maltraiter Boileau !

Le fin et spirituel Molière dut sourire dans sa barbe — que la mode ne lui permettait pas de porter — en lisant les vers du IIIe Chant de l’Art poétique. C’est en effet d’un vieux conte du XIIIe siècle, et aussi d’une Farce, perdue aujourd’hui, qu’est sortie la première idée du Médecin malgré lui. Le Vilain Mire ou le paysan médecin contient en germe l’admirable comédie de Molière.

Sainte-Beuve n’a pas hésité à écrire en parlant des pièces de notre ancien théâtre : « Ce sont les coups d’essai de petits Molières restés en chemin et inconnus, mais dont quelques-uns se sont approchés assez près du Molière véritable et immortel. Il ne doit pas y avoir, ajoute-t-il, une grande distance entre cette Farce si joyeuse du Cuvier et celles du Médecin volant et de la Jalousie du Barbouillé que jouait Molière tout jeune dans ses tournées de province. »

C’est bien en effet à un « petit Molière » inconnu que nous devons la Farce du Cuvier. Pas plus que pour la Farce de Pathelin, nous ne pouvons, sans craindre de nous aventurer, nommer l’auteur de cette pièce. Mais si l’on veut considérer l’idée mère de notre Farce, nous l’avons retrouvée dans un fabliau du XIIIe siècle, comme nous retrouvons le sujet du Médecin malgré lui dans le Vilain Mire.

C’est le fabliau intitulé Sire Hain et Dame Anieuse par le trouvère Hugues Peaucèle.

En voici le résumé, que je donne d’après le troisième volume du Recueil de Legrand[1]. sans presque rien changer.

Sire Hain a une femme acariâtre, qui le contredit sans cesse, la plus méchante créature et la plus contrariante qui soit au monde. Demande-t-il de la purée ? Anieuse lui donne des pois. Veut-il des pois ? elle lui fait de la purée. Pour tous les autres objets c’est la même chose, et du matin au soir, on n’entend dans cette maison que des querelles. Un jour Sire Hain a décidé d’en finir. Il propose à sa femme un véritable duel, avec témoins. C’est, malgré les coups échangés, un tournoi très pacifique d’ailleurs, et les champions n’ont rien de chevaleresque. Le mari porte une culotte au milieu de la cour, et propose à la Dame de la lui disputer ; mais à condition que celui qui en restera le maître le deviendra aussi pour toujours du ménage. Le voisin Simon et la commère Aupais sont pris comme arbitres. La bataille commence. Les deux époux font assaut d’injures et de horions, les culottes sont bientôt en lambeaux. Sire Hain vient à bout de se dépêtrer des mains de sa femme, et, animé par la colère, il la pousse si vigoureusement qu’il la « rencogne » contre le mur.

Derrière elle, écoutez, je vous prie, se trouvait un baquet plein d’eau. En reculant, ses talons le rencontrent et elle tombe dedans à la renverse. Hain la quitte aussitôt pour aller ramasser les débris de la culotte, qu’il étale devant les deux juges comme les témoignages de son triomphe. Cependant Dame Anieuse se débattait dans le cuvier et n’en pouvait sortir. Après des efforts inutiles, elle fut obligée d’appeler à son secours. Le voisin Simon, avant de la retirer, lui demanda si elle s’avouait vaincue, et si elle voulait promettre d’être désormais soumise à son mari, de lui obéir en tout, et de ne jamais faire ce qu’il

  1. Paris Onfroy, (1781). Fauchet en donne également l’extrait.