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ces sacrées jupes autour de soi. C’est coquet, c’est doux, alors quand ça s’en va, on se sent tout seul, une vieille bête. Cela fait qu’on devient amoureux de la première femme qu’on rencontre et qui ne vous déplaît pas. Et voilà ! J’attends une assez jeune personne que je vais épouser. Qu’est-ce que tu dis de l’aventure, après ce que je t’ai raconté ?

— Je dis que j’applaudis à ta conversion. Aimer, vois-tu, c’est le meilleur de la vie.

— Ah ! fit Chemargues qui jeta un coup d’œil oblique et interrogatif à Pierre, mais ne lui demanda rien.

— Et ta nièce ? interrogea Pierre qui avait rougi.

— Ma nièce est partie sans crier gare. Pour quelle aventure nouvelle, je ne sais. Vers son gueux de mari sans doute. Enfin bref, je vais me marier. J’attendais pour te prévenir d’être sûr de la date. Si je suis malheureux, je t’engage à venir tous les jours me répéter mes anciens discours.

La plaisante invitation de Chemargues rappela à Pierre que c’était à Colombes qu’il avait rencontré Clotilde. Un sentiment douloureux, ignoré de lui jusqu’à présent, l’envahit d’un flot brusque. Si c’était Clotilde, que Chemargues…

— C’est une jeune fille ? demanda-t-il, la gorge serrée.

— Non, s’écria Chemargues, tout de même pas. Ma bêtise ne va pas jusqu’à me rendre entièrement ridicule. J’épouse une veuve. Au moins, je n’aurai pas d’éducation sentimentale à entreprendre. Je ne me vois pas bien dans ce rôle-la, de vaincre les pudeurs d’une pimbêche élevée sottement. Entre deux folies, j’ai encore pu choisir la moindre.

Pierre eut l’impression d’une délivrance. Quelle idée absurde, il avait eue.

— C’est une veuve, répétait Chemargues,! et tu sais, continua-t-il d’un air ravi, elle aime les plats que je préfère.

— La voilà, dit-il ensuite à mi-voix.

Pierre aperçut qui s’avançait une petite femme toute ronde au visage frais, encadré de frisons légers. D’une voix agréable elle souhaita le bonjour à Pierre, en lui tendant une main potelée, puis elle affirma qu’elle le connaissait très bien, d’après les affectueux propos de Chemargues à son égard.

La conversation reprit entre eux trois, la petite femme y apportant une bonne humeur enjouée. Quand il les quitta, Pierre emportait l’assurance que ces deux êtres allaient vivre un bonheur qui durerait, basé sur des joies mutuelles de gourmandise et de confort douillet.

Alors, sentant son cœur trop étroit, éclater d’un espoir qui l’éblouissait, Pierre marcha doucement dans la nuit, vers sa destinée.

Clotilde Barjon était une petite danseuse dont l’unique ambition se haussait à deve-