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chercher à en ébranler les bases. Il est rare de voir ainsi des doctrines scientifiques assez fermement assises pour pouvoir résister aux efforts successifs de trois générations. Or c’est là le spectacle que nous a offert l’histoire de la médecine mentale en France, depuis le jour où Pinel et Esquirol lui ont imprimé une si puissante impulsion. Pourtant, de nombreux travaux ont été accomplis depuis cette époque, qui ont contribué puissamment à ébranler cet édifice en apparence si solidement établi.

Et d’abord, la création de la paralysie générale, qui constitue la découverte la plus importante du siècle dans la médecine mentale, a été la première brèche faite à ces doctrines et à la classification de nos maîtres. Établir, en effet, par la comparaison d’un nombre considérable de faits bien observés, qu’il existe une maladie cérébrale spéciale, caractérisée par des symptômes physiques bien déterminés, par des phénomènes psychiques spéciaux, par des lésions anatomiques bien caractérisées et par une évolution particulière, réunissant dans son sein les quatre formes principales de la classification de nos maîtres, mais imprimant à chacune d’elles un cachet particulier en rapport avec la maladie spéciale qui leur donnait naissance, c’était là la plus grave atteinte que l’on pouvait diriger contre les bases mêmes sur lesquelles reposait cette classification !

Il en a été de même des études plus approfondies faites sur l’alcoolisme aigu et chronique, depuis Magnus Huss jusqu’à nos jours, et qui ont porté une nouvelle atteinte à la classification régnante, en démontrant qu’une cause unique, l’influence de l’alcool, pouvait imprimer des caractères spéciaux aux quatre formes principales de cette classification : la manie, la mélancolie, la monomanie et la démence.

La découverte de la folie circulaire, ou folie à double forme, faite par mon père et par M. Baillarger en 1854, a été une attaque plus grave encore contre cette classification, puisqu’elle a démontré que les deux formes principales, considérées comme essentiellement distinctes l’une de l’autre, pouvaient se succéder régulièrement chez le même individu, et, au lieu de constituer deux espèces vraiment naturelles de maladies mentales, ne représentaient plus que deux états symptomatiques susceptibles de se transformer l’un dans l’autre.