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par quelques-uns de leurs héritiers, comment se prononcer d’une manière certaine, au milieu des témoignages contradictoires produits par les deux parties en présence ?

Un médecin expérimenté en constatant que l’individu, dont le testament est contesté, a présenté pendant sa vie des phases très évidentes de dépression mélancolique et d’excitation maniaque ne doit-il pas admettre que c’était là un vrai malade ; que pendant les périodes de tristesse et d’affaissement, il voyait tout en noir et qu’il a pu, sous l’influence des idées tristes qui lui faisaient apparaître le monde entier comme hostile ou décoloré, donner sa fortune à certaines personnes, ou à certaines institutions, en rapport avec ses idées dominantes du moment, tandis que pendant les périodes inverses, voyant tout en beau, sous des couleurs favorables, et à travers un prisme optimiste, il aura présenté des dispositions toutes différentes pour les choses et pour les personnes, et aura déshérité ceux qu’il avait au contraire favorisés pendant l’autre période de sa maladie ?

Dans ces cas difficiles, la perplexité du médecin expert sera grande et l’observation clinique attentive et complète des diverses variétés de la folie circulaire pourra seule permettre de trancher cette question délicate dans chaque cas particulier ; car elle ne peut être résolue d’une manière générale et absolue.

La médecine légale de cette affection sera donc toujours l’une des plus difficiles de la pathologie mentale, à cause des fréquentes variations d’état chez le même individu, d’un moment à l’autre, à cause des intervalles lucides plus ou moins complets, ou plus ou moins prolongés, à cause de la difficulté de distinguer l’intervalle lucide vrai de la simple rémission et surtout à cause du séjour habituel de ces malades dans le monde et dans la famille, et non dans les asiles d’aliénés.

Aussi la médecine légale de la folie circulaire reste-t-elle encore à faire. Du reste, jusqu’à présent, on n’a eu que très rarement l’occasion de l’appliquer à ces cas difficiles, parce qu’ils passent presque toujours inaperçus, parce que ces individus ne sont pas, le plus souvent, considérés comme des aliénés, et parce que généralement leurs testaments ne sont pas contestés par les familles ou sont déclarés valables par les magistrats.

FIN