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absurdes et les plus irréalisables. Ils veulent entreprendre des voyages, des achats, des constructions, etc. Ils ressemblent beaucoup, sous ce rapport, aux individus qui se trouvent à la première phase de l’ivresse, ou dans la période prodromique de la paralysie générale, sans être cependant aussi absurdes dans leurs projets et dans leurs actes que les aliénés atteints de cette dernière forme de maladie mentale.

Leur intelligence est surexcitée dans l’ensemble de ses facultés. Autant elle était ralentie pendant la période de dépression, autant elle est active et surexcitée pendant la période dont nous nous occupons.

Les idées pullulent et se succèdent avec une telle rapidité, que l’esprit n’a le temps de s’arrêter à aucune d’elles ; il peut à peine terminer l’expression d’une idée qu’une autre a déjà surgi et s’y intercale, sans lien et sans transition apparente. C’est une véritable fermentation intellectuelle, pendant laquelle les pensées les plus opposées se suivent et se remplacent avec une rapidité de production plus grande encore que la volubilité de la parole ne permet de les exprimer. L’intelligence fonctionne chez ces malades avec une si grande facilité qu’ils s’étonnent eux-mêmes d’avoir acquis une fécondité d’idées et d’imagination qu’ils ne possédaient pas à l’état normal. Ceux qui les ont connus autrefois partagent leur étonnement, ne les reconnaissent plus et leur trouvent plus d’intelligence et plus d’esprit qu’ils n’en avaient avant leur maladie. La mémoire est surexcitée comme les autres facultés. Les malades se rappellent les circonstances les plus insignifiantes de leur vie passée et évoquent des souvenirs qui paraissaient depuis longtemps effacés de leur mémoire. Ils ont une facilité d’élocution qui ne leur était pas habituelle et ils récitent de longs passages des auteurs classiques, avec une fidélité de souvenirs dont ils n’auraient pas été capables dans leur état normal. Ils composent des vers, parlent plusieurs langues et se montrent, sous tous les rapports, non seulement supérieurs à eux-mêmes, mais à la plupart des autres personnes qui les environnent. Il est juste d’ajouter cependant, qu’il se mêle toujours à cette suractivité un grand désordre, une grande bizarrerie de conceptions, et une succession rapide d’idées contradictoires qui, sans arriver jusqu’au degré d’une véritable incohé-