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fatigue, fermait les yeux, elle la réveillait aussitôt, le moindre soupir étant un indice qu’on la violait.

La veille elles s’étaient précipitées sur une personne qui traversait la cour de leur père, et elles lui eussent fait un mauvais parti si l’on ne fut venu leur faire lâcher prise. Le matin, quittant leur appartement, elles s’étaient rendues dans la maison où nous nous trouvions, et la demoiselle X… s’y était livrée à des extravagances sans nombre. Leur exaltation était, me dit-on, à son comble, un malheur était imminent.

Dans une telle occurrence, je crus devoir conseiller le transfert dans une maison d’aliénés ; un tel état de choses, en effet, ne pouvait durer plus longtemps sans que l’autorité s’en émût. On y consentit, mais la difficulté était de se rendre maître de ces pauvres femmes qui, une fois barricadées chez elles, pouvaient y soutenir un siège.

Nous en étions là de notre entretien lorsqu’on vint nous prévenir qu’une femme et son enfant venaient d’être renfermés dans leur cuisine et que l’on craignait un accident.

M. X… se rendit sur les lieux, fit tout ce qu’il put pour les calmer, puis, n’y pouvant parvenir, m’envoya dire de venir à son aide.

Accompagné alors d’un gardien que j’avais avec moi, et de deux ou trois personnes de bonne volonté, je courus à la maison, où, me glissant le long des murs, je pus parvenir jusqu’au perron de la cuisine, sur lequel elles se tenaient avec leur père, qui se trouvait heureusement devant la porte pour les empêcher de rentrer.

À ma vue elles se récrièrent ; mais avant qu’elles eussent eu le temps de faire un mouvement, j’étais sur le seuil, les prévenant qu’elles ne pourraient entrer qu’après moi. « Je suis, leur dis-je, M. Dagron ; je viens pour constater votre état et vous engager à vous rendre dans une maison de santé. » Madame X… qui m’avait vu près de son mari, atteint lui-même d’aliénation mentale, me dit que je n’étais pas M. Dagron, et toutes deux alors se précipitèrent sur moi. Une lutte, dont je ne pouvais prévoir l’issue, car j’apercevais à deux pas un fusil de chasse, s’en suivit ; les malheureuses me déchirèrent les mains, me mordirent, et l’on ne pût s’en rendre maître qu’en les fixant avec la camisole.

Mademoiselle X…était terrible ; oubliant toute pudeur elle se