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d’instruction. Ces déplacements répétés lui semblent extraordinaires, et elle en conclut qu’on allait lui couper la tête. Si on objecte qu’on ne condamne pas les gens à mort pour un tel délit, elle ajoute : « Que voulez-vous que je vous dise, on le disait là-bas ; moi je ne dis rien. »

La veuve D…, la plus jeune, a une tout autre activité intellectuelle. Elle est la seule des deux qui sache lire et écrire, la seule qui se chargeât de procurer de l’ouvrage. Elle se souvient qu’on s’est amusé d’elles à Saint-Lazare ; les détenues contaient à sa sœur qu’on lui couperait la tête ; elle savait bien qu’il n’en était rien et n’est pas niaise à ce point, mais il lui tardait d’être jugée.

« En somme, dit-elle avec une certaine animation, je connais mon métier ; pourquoi me refuse-t-on du travail ? Pourquoi me coupe-t-on l’herbe sous le pied ? Pourquoi ? Qui ? Je n’en sais rien, je ne parle à personne, je ne connais personne. On veut donc que je me tue ou que je meure de faim ? Il y a là quelque chose que je ne puis dire. Peut-être que j’ai été folle. Admettez que je l’aie été ; à présent vous voyez bien que je suis guérie. Je pensais… Non, je ne me le rappelle plus… Si, je pensais qu’on voulait m’empoisonner dans ma nourriture… Est-ce que je ne mange pas de tout à présent ? Je ne répondrai plus, parce que tout ce que je dirais serait folie. Si j’ai volé, ce n’était pas pour m’enrichir ; tout cela n’est pas de la folie, c’est du malheur. »

Les deux mois de détention préventive, l’assurance de vivre au moins quelque temps sur son pécule, ont amoindri, sinon fait cesser la crise, et les deux sœurs sont rendues jusqu’à nouvel incident à la liberté.

Une dernière observation, déjà publiée, offre avec celles qu’on vient de lire de telles ressemblances que nous tenons à la reproduire ; elle montrera que les faits, dont nous avons l’analyse, plutôt que le récit complet, ne sont pas de rares exceptions. Il est bon de ne pas se confiner dans sa propre expérience, et, même identiques au fond, les observations recueillies par des médecins différents, varient par la forme ou par le détail. M. le docteur Dagron, qui a raconté, avec de longs développements, l’histoire de la folie des deux sœurs, avait toute compétence pour formuler un jugement. La