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petite, trapue, de bonne mine, causant volontiers et assez vive d’intelligence. La seconde est grasse, épaisse physiquement et intellectuellement ; elle répond avec peine aux questions et semble dominée par la crainte de se compromettre.

Elles sont venues à Paris il y a quelque trente ans avec leur père et leur mère établis en province, possesseurs d’un petit avoir laborieusement amassé et sollicités par l’espérance d’un gain plus élevé. Le père était tailleur, et la mère l’aidait dans son travail. Leurs affaires ont d’abord prospéré, puis des pertes d’argent sont survenues, et tous deux sont morts presque dans la misère.

D… épousa un ouvrier peintre, d’une bonne conduite, et qui paraît avoir succombé à une phtisie aiguë. Une fois veuve, elle prit domicile chez sa sœur mariée avec un ouvrier d’un caractère difficile, gagnant aisément sa vie comme peintre sur porcelaine, mais ayant des habitudes de brutalité et de dissipation.

Au bout de peu de temps le ménage fut rompu. Le mari partit, sans que depuis on en ait eu de nouvelles, et les relations entre les deux sœurs devinrent de plus en plus étroites.

L’ouvrage ne manquait pas, et, pendant dix ans, cette union volontaire fut tout heureuse. D… était habile dans sa profession de culottière ; elle trouvait régulièrement du travail dans un grand magasin de confection pour hommes et menait une vie économe et exemplaire. Un jour, elle reçut quelques reproches pour un manque d’exactitude dans la livraison de son ouvrage. De dépit, elle refusa de retourner au magasin, et, comme elle était la seule pourvoyeuse, les deux sœurs, ne gagnant rien, épuisèrent lentement leurs ressources.

C’est alors que D… enleva, en compagnie de sa sœur, un paletot à l’étalage d’un tailleur, l’emporta ostensiblement, se fit arrêter, fut renvoyée de la plainte par ordonnance de non-lieu et transférée à la Salpêtrière, où elle séjourna avec sa sœur de 1859 à 1864.

Vers la fin de 1864, nouvel accès. Délire de persécutions avec terreurs. Elle se croit poursuivie par des gens qui menacent de l’empoisonner. Son beau-frère lui avait dit : « Je connais des poisons que les médecins ne découvriront pas ; méfiez-vous. » Elle supposait et suppose encore que son mari est mort empoisonné.

Son second séjour à la Salpêtrière, où elle est seule enfermée, est de sept ans, et elle sort réputée guérie en 1872.