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quoiqu’il m’en coûte d’avoir quitté mes enfants. Je n’espère pas qu’il me reviendra de l’argent ; elle m’a toujours dit qu’elle m’en donnera, mais je n’y compte pas, et, en tout cas, cela ne regarde personne. C’est d’un grand cœur que je suis partie, et je ne regrette rien, car j’aurai fait une belle œuvre : je suis sûre qu’on l’a volée. Mon mari a sauvé une grande fortune comme cela : le bateau avait été incendié ; on a retrouvé l’or caché dans le désert. Je me suis dit : Je pourrai comme lui sauver une fortune. »

À la question ainsi posée : « Vous êtes-vous jamais demandé si la femme M… jouissait de sa raison ? » Elle répond : « Elle a bien sa tête ; je n’aurais pas suivi une folle ; d’ailleurs, on l’a fait visiter par des médecins. »

C’est la veuve S… qui paraît avoir, après bien des hésitations, décidé le voyage à Paris. Un personnage resté indéterminé, et qu’elles appellent le monsieur de Bordeaux, leur a conseillé de demander une audience au ministre. Elles se sont adressées au président du conseil d’État. Le monsieur de Bordeaux avait promis de revenir sans fixer un jour. Elles l’attendaient, et il leur avait paru qu’elles auraient plus de chance de le rencontrer au chemin de fer.

Le jugement de la femme M… sur sa compagne, la veuve S…, est confus ; mais, dans ses moments de lucidité, elle invoque son appui moral, déclarant qu’elle est au courant de tout, qu’elle a vu les témoins, et que la meilleure preuve de sa confiance, c’est qu’elle a tout quitté, famille, enfants, étant à l’abri du besoin, pour aider au succès de l’entreprise.

La veuve S…, après une courte séparation, a demandé à retourner près de ses enfants. Ceux-ci ont été mandés à Paris et l’ont reconduite. La femme Jeanne M… a été placée dans une maison de santé.

Observation VII. — L’observation suivante reproduit, sous une autre forme, un de ces drames intimes familiers aux médecins, inconnus aux romanciers, et qui donnent une note à peine discordante dans le concert des misères humaines. Il s’agit encore de deux femmes, et cette fois de deux sœurs.

L’une, D…, est veuve depuis l’âge de vingt ans et âgée aujourd’hui de quarante-sept ans. L’autre, L…, séparée de son mari depuis une vingtaine d’années, a cinquante et un ans. La première est