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C’est après cette longue incubation que la femme M…, entreprend ses voyages à la poursuite de son bien imaginaire, allant chercher un complément d’information et un surcroît de confiance par les villes voisines, et espérant ainsi échapper à ses persécuteurs. C’est au même temps qu’elle entame des relations de plus en plus intimes avec la veuve S…

Les réponses de la veuve S…, au cours de l’interrogatoire médical, sont à la fois assez explicites et assez naïves pour qu’il y ait tout profit à les reproduire :

« Je connais madame M… depuis avril ou mai 1872. Veuve d’un capitaine au long cours, je l’ai rencontrée chez un marin de nos amis ; j’ai pris de suite part à ses peines. Je ne suis pas bien au courant de ses malheurs et ne veux pas chercher à les approfondir.

« Je suis venue à Paris pour la soutenir ; sans moi, elle serait morte bien des fois. À Paris, je me suis adressée au ministère de la marine ; on m’a répondu qu’on ne pouvait pas s’en occuper.

« J’avais connaissance de ses affaires par elle et par les témoins, qui m’ont tout avoué. Madame C…, la femme d’un employé du chemin de fer, m’a dit que c’était exact, mais qu’elle ne déposerait qu’en justice, et nous ferons de même.

« On m’a montré les endroits, et je crois qu’elle a été volée. Quand madame C… m’a eu raconté la chose, comme me l’avait contée madame M…, j’ai été convaincue. La petite demoiselle C… m’a dit que Madame L… avait fait aussi connaissance avec madame M…, mais qu’elle a déclaré ne pouvoir la servir, parce qu’elle était en rapports de parenté avec les voleurs. On a creusé et on a trouvé les débris du coffre à l’endroit où madame L… les avait cachés. Elles ont déclaré qu’elles en parleraient à la justice, quand on les interrogerait, mais qu’elles avaient peur de mécontenter les gens.

« Je crois que le curé du village a tout fait avec une bande. Je ne sais pas ce que c’est que Victor ; je suppose que c’est un sorcier ; pourtant je ne crois pas aux sorciers. Pour pousser à bien cette affaire, il faudrait prendre le curé ; la soutane a toujours raison. Si on ne réussit pas, c’est que le curé s’en mêle.

« Je suis étonnée que la justice ne donne pas suite à notre plainte.

« J’ai dépensé pour elle, et, si elle rentrait dans sa fortune, elle me rendrait mes déboursés. J’ai commencé et je ne reculerai pas,