Page:Falret - Études cliniques sur les maladies mentales et nerveuses, 1890.djvu/580

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il en résulte que la femme M… a été prévenue par une voisine de l’existence de la caisse mystérieuse, de la place où elle était déposée et de son contenu en pièces d’or.

Un nommé Victor, personnage qui remplit exactement le rôle dévolu à R… dans la première observation, est l’agent principal qui découvre le secret, s’entend avec le curé de la paroisse, intervient de sa personne, s’introduit, tantôt par des moyens habiles, tantôt par effraction, dans la maison. La malade raconte des fragments de conversation échangés entre elle et Victor, qu’on retrouve comme les éléments essentiels de l’interprétation délirante dans les folies de cette espèce. Victor finit par organiser un complot ; il n’est plus lui ; il devient la société Victor, être abstrait, occulte, et qui se prête mieux qu’une personnalité même confuse à des conspirations impossibles.

La nuit, à de nombreuses reprises, des apparitions étranges ont eu lieu dans sa chambre ; elles ne parlent pas ; mais menacent du geste ; des poignards brillent dans l’ombre ; des sensations bizarres lui donnent à croire qu’elle a été l’objet de honteuses violences, et qu’avant d’abuser d’elle, on l’a endormie par des odeurs ou des breuvages. Pendant ce temps, on emporte des fardeaux de choses précieuses, et le lendemain, elle se réveille si souffrante qu’on croit devoir mander un prêtre. Les amis supposent charitablement que le diable est entré dans le domicile et qu’il conviendrait de l’exorciser.

Plus tard, les obsessions sont à la fois de nuit et de jour ; les conspirateurs se déguisent, les uns en marchands, les autres en colporteurs ou en femmes de la campagne. Ils peuvent ainsi agir plus librement. Des voitures inconnues circulent dans les rues ; des propos, dont la malade saisit le sens, sont échangés ; c’est un conflit de rencontres, de conversations énigmatiques, de démarches avortées pour arriver à la découverte de la vérité, de plaintes adressées aux autorités du pays, tantôt bien reçues, tantôt repoussées par calcul. Les noms propres se croisent, et il n’est pas une assertion qui ne s’appuie sur le témoignage d’un individu dénommé. On répète à voix haute tout ce qui s’est passé dans les nuits d’anxiété. On lui donne, tantôt des conseils de prudence, tantôt des encouragements à agir. Une seule donnée reste immuable : le trésor est une fortune à ne pas y croire ! il faut le voir.