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Elle affirme que la police est incessamment à leurs trousses, et, bien que le découragement commence à la gagner, elle veut rentrer au moins dans ses déboursés. Sans être guidée par l’intérêt, elle est assurée que, quand la femme Jeanne M… sera devenue millionnaire, elles partageront.

Dès ce début, il est facile de voir que la femme Marie S… n’est que le reflet des aspirations de sa compagne, et que, pour découvrir, ou la filouterie ou le délire, c’est à cette dernière qu’il faut s’adresser.

L’interrogatoire du commissaire de police, chargé de la première instruction, est déjà assez explicite pour que nous le reproduisions :

La femme M… dit avoir raconté l’affaire au curé de la paroisse qu’elle habitait en 1857, à l’époque de la mort de son grand-père. Celui-ci, avant de mourir, avait fait connaître l’existence d’un trésor dans une maison désignée par lui, mais sans indiquer la place. Le curé a découvert la cachette et volé le trésor, et ce n’est qu’en 1866 que le premier vol a eu lieu. Elle est venue à Paris réclamer la protection de M. Thiers. Elle déclare, en outre, avoir eu, en 1866, une maladie grave, provoquée par des outrages commis à l’aide d’une poudre qui a paralysé momentanément son fils et elle-même.

Le double élément de la persécution et de la réparation prochaine apparaissent ainsi d’emblée. Le clergé est partie prenante. Rien ne manque au délire modelé sur celui des femmes X… Seulement, au lieu d’une succession à recueillir, c’est un trésor à ressaisir. L’histoire ainsi conçue rappelle, sous une autre forme, les aventures romanesques où se complaisent les imaginations populaires.

Un examen médical attentif et prolongé permet de remonter jusqu’aux premières phases de la folie et d’en suivre le développement ; mais un long exposé écrit et colporté par la femme Marie donne au mieux la physionomie de l’aliénation :

« Vol fait clandestinement avec effraction et escalade à mon préjudice, empoisonnement des animaux, outrages qui m’ont été faits et dont j’ai dû garder le lit plusieurs fois et plusieurs semaines depuis 1866 jusqu’en juin 1872. »

Nous nous garderons d’essayer l’analyse d’un pareil document, qui ne contient pas moins d’une vingtaine de pages et qui se compose d’une série de récits sans cohésion.