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decins disaient les uns : ne criez pas, les autres : criez pour qu’on sache que vous êtes ici. On nous aurait toujours gardées pour profiter de l’argent que nous payions et que nous ne dépensions pas. »

Le quatrième jour, elle est fatiguée, parle lentement, s’exprime en bons termes sur toutes choses et dit : « c’est ma sœur qui a eu peur ; je l’ai crue et j’ai eu tort ; si j’avais été moins faible, je l’aurais peut-être détournée et elle n’en serait pas où elle en est ».

Cette longue observation appelle peu de commentaires. On y suit l’évolution des idées sur laquelle nous avons déjà insisté, moins les lueurs d’espérance. Dans le premier cas, les femmes étaient excitées par l’appât d’un héritage qui devait les sauver ; ici, la frayeur domine et le délire prend une acuité incompatible avec les rêves consolants qui le modifient.

Dans l’observation qu’on va lire, c’est, au contraire, l’aspiration vers une fortune imaginaire qui domine, tandis que la persécution passe au second plan. Chacun de ces faits éclaire les diverses faces de la folie à deux, et plus le récit est détaillé, moins les corollaires ont besoin de développements. C’est, nous ne dirons pas l’excuse, mais la raison de l’étendue que nous avons cru devoir donner à nos observations.

Observation VI. — La nommée L…, veuve S…, âgée de 46 ans, sans profession, et la nommée M…, 49 ans, journalière, demeurant toutes deux au même domicile, sont arrêtées, à une heure du matin, dans la salle d’attente du chemin de fer d’Orléans (côté de l’arrivée), où elles étaient couchées et endormies sur un banc.

De leur aveu, voilà la quatrième nuit qu’elles passent ainsi, obligées de se cacher pour soustraire à la rapacité d’une police occulte des papiers de grande valeur qu’elles ont en leur possession.

Elles sont arrivées ensemble du Midi à Paris, le 5 décembre 1872, et se sont rendues directement à Versailles, demandant à voir le Président de la République et à obtenir justice des vols dont la femme M…, que nous appellerons Jeanne de son prénom, est victime.

La veuve Marie S… a fourni l’argent nécessaire au voyage et à leur modeste entretien à Paris, depuis six mois qu’elles y résident.