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pas. Chacune semble donner son mot dans la réplique, et quand l’une s’apaise, l’autre redouble. On se décide alors à les isoler ; mais la séparation est plus apparente qu’effective ; les deux malades se voient par les fenêtres, par les grilles du préau. La plus raisonnable, la seule en réalité qui raisonne, met son intelligence au service d’une sœur en plein accès de manie. Si la malade est ainsi excitée, dit-elle, c’est qu’on la torture ; elle est dans un cas de légitime défense et a droit d’être secourue. Elle intervient alors, à la manière des enfants dans les querelles de ménage, dépassant par son agitation calculée, la violence toute pathologique de sa sœur.

La parente, qui avait fait les frais de cette surveillance imparfaitement organisée, demande le placement des deux malades à bout de ressources dans un asile départemental.

Joséphine, qui continue à subir un accès de manie à rémission, est en effet séquestrée. Lucile, après quelques jours, est rentrée en possession d’elle-même et sa belle-sœur consent à la recevoir avec sa fille qui, malgré l’influence redoutable d’un tel milieu, n’a pas faibli.

Il est curieux de constater la rapidité avec laquelle les impressions délirantes s’effacent chez Lucile, tandis qu’elles ne se modifient pas chez sa sœur.

Le premier jour de la séparation, elle affirme timidement et raconte les péripéties qui ont précédé l’explosion délirante, non sans quelques réticences et quelques excuses : la peur de la prison, notre âge critique nous a hallucinées ; nous étions toutes deux ainsi tourmentées, peut-être moi plus qu’elle.

Le lendemain, elle détourne l’entretien de ces débuts et ne consent à s’expliquer que sur les faits relatifs à l’internement dans l’asile. Là, en effet, les énonciations ont plus de vraisemblance. Ce sont des récriminations encore violentes, mais qui ne touchent déjà plus que par quelques points à l’aliénation : « ma fille me dit : ma tante est folle ; je lui réponds, c’est impossible ; elle a des idées noires, mais ce n’est pas de la folie. J’exige qu’on me mène à l’asile. J’y vais, malgré une assez vive résistance. J’entends crier ma sœur attachée dans une chambre avec la camisole de force, et je m’écrie : dans quel état es-tu là et je me précipite sur elle pour la délivrer. On m’enferme moi-même. Les pensionnaires, les infirmières, les mé-