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La menace ne reçoit pas de commencement d’exécution ; cependant l’inquiétude augmente. Les gens du peuple n’ont qu’une idée assez confuse de la justice, de son autorité qui garde un côté mystérieux et de ses droits.

Joséphine entre alors dans le délire vrai dont les prodromes se sont si longuement préparés. Elle refuse le travail et comme elle était de beaucoup la plus active et la plus habile, la gêne commence. Les nuits sont insomnes ; elle se lève terrifiée, allume les bougies sur une table qu’elle a d’abord couverte d’une nappe, déclarant que le prêtre va venir les administrer parce que la mort est proche. Lucile suit de loin, d’abord résistante, puis indécise, et ce n’est qu’au bout de deux mois qu’elle prend une part active à la folie.

Ainsi associées, les deux femmes ne se bornent plus à une appréhension expectante. Elles se résolvent à quitter Paris pour fuir à l’étranger ; elles font et défont leurs malles et leurs journées se passent en préparatifs qui n’aboutissent pas. La nourriture est insuffisante, ni l’une ni l’autre n’ose sortir en quête de provisions ; le peu d’économies amassées finit par s’épuiser. Ce ne sont plus de vagues prévisions, mais on entend des bruits étranges dans la rue ; la police informée veut leur infliger la peine d’un déshonneur dont elles sont solidaires.

Un jour, c’était en novembre 1875, Joséphine annonce l’arrivée des gendarmes ; devant ces extrémités, il ne reste qu’une ressource : la mort. On éteint les lumières et toutes deux se glissent sous leurs matelas, avec une inexpérience enfantine du suicide, pour s’asphyxier ; la première sensation de suffocation est si pénible qu’elles ne se sentent pas le courage de persévérer. On voit par quelle progression la tristesse a monté aux degrés extrêmes de la mélancolie anxieuse. L’excitation n’a plus de trêve ; les voisins se plaignent et une parente informée se décide à enlever les deux malades, l’une dans une maison de santé, l’autre dans un asile d’aliénées. Par une regrettable condescendance, les deux sœurs sont, après deux mois de séparation, réunies dans le même asile.

Joséphine, celle dont on pourrait dire qu’elle a mené l’affaire, est prise d’une agitation maniaque, croissante et communicative. Les scènes d’excitation se multiplient et malgré la violence incohérente du délire, le lien qui unissait les deux femmes, ne se brise