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Quant à l’existence d’une aliénation vraie, aucun médecin expérimenté ne la mettra en doute. Elle se prouve, moins par l’absurdité de la donnée première que par le mécanisme intellectuel à l’aide duquel elle est mise en œuvre. En somme, tout repose sur un non-sens ; il n’existe ni succession ni parité de noms avec le testateur Dubois, ni pièces ni papiers à l’appui. Des propos indirects, des mots dépourvus de sens servent de point de départ ou de point d’appui ; comme dans toute folie, c’est la foi maladive qui commande, n’admettant ni objection ni contrôle.

L’association des deux malades, dont l’une ne délire que par commission, a seulement effacé les angles, limité le délire dans une systématisation convenue, et qui a pu en imposer à quelques faibles d’esprit.

L’histoire suivante a tant d’analogies avec celle qu’on vient de lire qu’il convient de l’en rapprocher. Les nuances en médecine sont plus précieuses que les contrastes.

Observation V. — Il s’agit de deux sœurs jumelles, âgées de quarante et un ans, de même complexion, quoique se ressemblant peu de figure. Elles ont vécu en commun pendant leur enfance et leur adolescence. Le père et la mère sont morts, et on ne peut avoir sur eux des renseignements explicites.

Lucile s’est mariée, à l’âge de dix-sept ans, à un homme excellent dont elle n’a jamais eu qu’à se louer. De ce mariage est née une fille, âgée aujourd’hui de quinze ans.

Le ménage, qui s’était installé en province, tandis que la sœur continuait à habiter Paris, ne réussit pas. Un petit établissement de cafetier qu’ils avaient fondé prospéra d’abord, puis l’ambition d’accroître leurs affaires les gagne, et ils achètent une brasserie. Des difficultés de tout genre, des déboires auxquels ils n’étaient rien moins que préparés, les assaillent ; en trois ans, ils perdent leur petit capital, fruit de laborieuses économies. L’associé qui, à leur dire, les avait trompés, reprend la brasserie et la relève. Des 20,000 francs perdus au cours de l’entreprise, il ne reste plus que 900 francs, insuffisants à couvrir les dettes. Le mari et la femme se remettent à l’œuvre et finissent par se libérer de ce qu’ils doivent, au prix d’énormes sacrifices. Le mari, découragé, fait quelques