Page:Falret - Études cliniques sur les maladies mentales et nerveuses, 1890.djvu/573

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le mutisme de M. C… se prolongeant, on écrit au notaire, qui ne répond pas davantage, parce qu’il n’a rien à répondre à propos d’une succession imaginaire à partager entre des héritiers de fantaisie. Le mauvais vouloir a pris les proportions d’un complot, et là commence le rôle prédominant de la fille.

R… est séminariste, ou supposé tel, car ni l’une ni l’autre ne l’ont vu ; elles savent seulement qu’il connaissait leur parent, le collectionneur des papiers authentiques. Or, une église a été bâtie dans la ville où le séminaire du diocèse est installé. Cette église a, dit-on, coûté 5,000 francs. Qui a fait don de cette somme considérable ? Évidemment R…, qui a dû hériter le premier, puisque c’est lui qui a laissé sous-entendre l’existence de la succession. Le notaire a dit à une personne : « Cette femme qui m’écrit est malade. » C’est qu’il avait fait serment de ne rien révéler.

« Le clergé est mêlé dans l’affaire, la succession existe, mais j’y suis soustraite, dit la fille, par la faute des prêtres. On dit partout que l’archevêque veut que nous en fassions l’abandon. Maman n’y a pas pris garde ; mais moi je suis sûre de l’avoir entendu. D’ailleurs on n’invente pas ces choses-là. »

Une fois la persécution admise, elle s’affirme à chaque pas, et on comprend combien il est facile de succomber à l’idée d’une persécution, quand tout effort est impuissant, toute ressource épuisée, et qu’on n’a plus, suivant l’expression de la mère, qu’à mourir de faim.

La part proportionnelle de chacune des deux malades s’accuse mal dans un récit condensé ; elle est certaine pour qui conduit l’enquête et dirige l’interrogatoire. La mère, qui ne joue que le rôle secondaire, a peine à se retrouver dans le lacis des déductions logiques à l’aide desquelles la persécution se prouve et s’explique. Le thème, sans les variations, suffit et au delà à la portée de son intelligence. La fille, au contraire, se complaît au récit du complot dont elle renoue les fils avec moins d’habileté toutefois que bien d’autres persécutées. De temps en temps elle en appelle à un de ces aphorismes dont les esprits de second ordre font si volontiers les prémisses de leurs argumentations : « J’ai cherché de l’ouvrage, et on m’en a refusé. Pourquoi ? J’ai présenté des modèles, et on ne les a pas regardés. C’est la malveillance organisée qui seule peut être cause de tout cela. »