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chiffre, mais on sait qu’il est conséquent. Un parent, frère de l’une, oncle de l’autre, devait être héritier, sans qu’on puisse deviner à quel titre, car il ne porte pas le nom du prétendu testateur, mais il avait, soi-disant, rassemblé les papiers et pris des arrangements que sa mort a interrompus.

L’invention est, comme on le voit, toute populaire. De temps en temps il circule des histoires de fortunes immenses accumulées jusqu’au merveilleux, et qui attendent un heureux inconnu destiné à les recueillir, dès qu’il aura justifié de son droit. Le défunt porte d’habitude un nom vulgaire assez répandu, pour solliciter de nombreux aspirants.

Pour se résoudre à aspirer à une situation si enviable et convertir en conviction arrêtée un rêve qui excède toutes les rêveries, il faut un travail intellectuel dont les aliénés seuls sont capables.

Ici après un examen prolongé, on parvient à suivre la filière des conceptions délirantes, imaginées par la fille et reflétées par la mère qui leur donne l’appoint de sa sanction, l’autorité de son âge, la sobriété de l’exposé et cette apparence de sincérité qu’ont les récits romanesques reproduits de seconde main.

Le parent étant un gendarme retraité, il avait, a-t-on dit, après sa mort fait un testament. Or, pourquoi avait-il testé puisqu’il n’avait pas un sou à léguer ? On a dû mettre les scellés et on n’a jamais communiqué les papiers. C’est qu’on avait intérêt à les soustraire.

Le délire une fois assis sous cette forme, et la première conception remonte aujourd’hui à deux ans (le frère est mort il y a cinq ans), il se partage et suit deux directions : d’une part affirmer le droit à l’héritage, de l’autre, chercher par quelles menées souterraines les vrais destinataires ont été dépouillés.

La première tâche semble, par un compromis tacite, avoir été surtout réservée à la mère ; la seconde, celle qui consiste à dépister la persécution, revient à la fille plus imaginative.

Un nommé R… dont l’individualité reste assez indécise, mais qu’elles supposent attaché à un séminaire, leur a fait dire par une femme qui ne pouvait être le mandataire d’un autre individu : allez connaître. Cette phrase énigmatique, si conforme à celles que répètent les hallucinations de l’ouïe, a été la première révélation