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On doit donc placer en première ligne les éléments essentiels que nous venons de résumer : d’abord, la modération relative du délire, ses côtés sentimentaux, sa concordance avec les dispositions de celui qui s’y adapte ; en second lieu, la répétition incessante des mêmes propos, renouvelés sans rémission ; enfin, la débilité intellectuelle et morale du participant.

Une fois que le contrat tacite qui va lier les deux malades a été à peu près conclu, il ne s’agit pas seulement d’examiner l’influence de l’aliéné sur l’homme supposé sain d’esprit ; mais il importe de rechercher l’action inverse du raisonnant sur le délirant, et de montrer par quels compromis mutuels s’effacent les divergences.

Qu’on essaye de mettre un aliéné atteint du délire de persécution porté aux extrêmes, halluciné, égoïste à l’excès, implacable dans ses affirmations obstinées, insensible à l’approbation comme au doute, en rapport avec n’importe quel homme doué du meilleur vouloir, il ne sortira rien de cette association que la lassitude. Le demi-persécuté, qui étend sa sollicitude maladive sur ceux qui l’entourent, les confondant avec lui dans ses appréhensions, aiguisant d’un peu d’espérance ses inquiétudes quelque peu confuses, ne se maintient pas indifférent à la résistance ou à l’encouragement de l’auditeur. Celui-ci répète, avec des variantes, la leçon qui lui a été apprise ; il ébarbe pour ainsi dire les trop brutales absurdités ; il remplit avec des données presque logiques les lacunes excessives. Petit à petit, l’histoire se dégage et se systématise, revue et considérablement amendée.

L’aliéné a profité, non pas d’une éducation à laquelle il reste fatalement insensible, mais il a contracté l’habitude d’un récit tant de fois reproduit qu’il n’exige plus d’effort.

Tous les médecins savent avec quelle étrange fixité de mémoire certains persécutés racontent leurs aventures imaginaires, n’oubliant ni un détail, ni une date, ni un incident. C’est l’histoire non pas inventée, mais formulée à deux qu’ils racontent.

Il résulte de cette assidue collaboration une telle homogénéité dans le dire des malades qu’il faut souvent un long temps, doublé d’une active recherche, pour discerner le délirant primitif du secondaire. C’est quand on a séparé l’un de l’autre, pendant plusieurs jours, quand non seulement la vie commune a été rompue, mais que le