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a fait courir le bruit que j’allais tous les soirs livrer ma fille pour manger.

Je ne sais pas pourquoi on m’en veut ; mon mobilier ne doit pas faire envie ; c’est pure méchanceté. À l’église, on m’a déchiré ma robe en m’injuriant ; j’étais allée conduire ma fille et ne connaissais personne.

Épuisée, ne dormant que le matin, j’avais résolu de mener ma fille à la consultation de l’hôpital. Je suis descendue à deux heures du matin, du haut de la maison qui a plus d’un étage, avec une échelle, emportant mon enfant sur son dos ; je ne sais pas comment nous ne nous sommes pas tuées. Je me suis promenée toute la nuit avec l’enfant et le matin, on nous a renvoyées de la consultation. J’ai à Paris mon beau-père qui voulait bien nous recevoir, mais j’ai eu peur pour lui parce qu’il était seul. Puisqu’on me persécute, on le persécuterait aussi. »

La fille M…, treize ans, est grêle et porte moins que son âge ; elle est vêtue d’une robe sale et en lambeaux ; ses réponses sont entrecoupées de sanglots. « Je voudrais voir ma petite mère ; quand maman sortait pour travailler, il y avait un homme qui faisait hou ! hou ! sous la porte, comme le vent ; j’avais peur, je n’osais pas me coucher, j’étais malade, On faisait peur aussi à maman la nuit. C’était un homme qui retirait ses sabots ; on ne l’entendait pas marcher et il arrivait sous la porte, le matin, à midi ; le soir, je croyais qu’il y avait du monde caché sous le lit. On entendait comme si on soulevait les meubles et la porte ; nous étions obligées de nous barricader avec le lit. Nous avons entendu des coups dans la nuit ; on a arraché avec une pince un morceau de la porte. Je l’ai entendu avant maman, mais je n’osais pas lui dire. Je n’ai jamais rien vu, mais j’entendais bien qu’on marchait et qu’on frôlait des papiers sur le carré.

Maman m’a raconté que c’était une femme qui lui en voulait. »

De ces récits sommaires mis en regard, l’un représente le délire classique de persécutions, l’autre n’exprime que des terreurs enfantines et une crédulité qu’explique l’âge de l’enfant. Il faut se rappeler que la maladie de la mère est récente, que la fille n’a été associée qu’aux manifestations les plus grossières et cependant son affirmation n’a pas été sans influence. D’un côté, elle garantissait l’authenticité des hallucinations auditives, de l’autre, elle poussait la mère à des