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Observation I. — Deux vieilles filles ont recueilli, comme l’unique héritage d’une de leurs sœurs, une petite orpheline, grêle, pâle, âgée de huit ans. La vie est difficile et les ressources au-dessous des besoins. Une des sœurs vient à mourir et son travail manquant, l’existence est encore plus étroite : l’autre sœur est prise d’un délire de persécution vulgaire, à forme sénile. Les voisins se sont ligués contre elle ; des voix l’injurient ; des bruits auxquels elle attribue un sens menaçant se produisent. L’aliénation avance par un progrès lent ; au bout de quatre années, elle a pris de telles proportions que les habitants de la maison s’inquiètent.

L’enfant, qui sort à peine pour les commissions urgentes, tandis que sa tante refuse de quitter sa chambre où elle s’enferme, est questionnée. On apprend d’elle que de méchantes gens ont essayé de l’empoisonner, ainsi que sa tante ; toutes deux ont éprouvé de graves accidents ; des ennemis sont entrés pendant la nuit pour l’arracher à la protection de sa parente ; à toutes les questions elle répond avec la lucidité des enfants que la cohabitation des vieillards a mûris avant le temps. Ses assertions sont d’autant plus plausibles qu’elles représentent la folie de la malade absente, atténuée, émondée par la nièce qui n’est pas une aliénée.

Il survient alors un fait curieux que nous avons vu reproduire bien des fois. Les conceptions délirantes, réduites à leur plus faible expression en passant par la filière d’une intelligence demi-saine, sont plus près de la raison qu’aucune idée engendrée dans le cerveau d’un aliéné. Les auditeurs ont moins de répugnance à se rendre ; les objections qu’ils élevaient ont été accueillies ; l’enfant a renoncé à quelques-unes de ses énonciations, dont on lui montrait l’impossibilité ; celles qui restent n’en ont que plus de valeur. L’expérience, conforme à la règle déjà posée que : moins le délire est brutal plus il devient communicable.

Les voisins prennent fait et cause pour l’enfant ; ils en appellent à l’autorité, imaginant une fable romanesque de nature à justifier ces prétendues persécutions. L’enquête et l’examen auquel procède un de nous ne laissent subsister aucun doute. La malade est placée dans un asile, et l’enfant dans un orphelinat, où elle guérit de cette maladie pour ainsi dire parasitaire ; mais les gens du quartier conservent encore des soupçons et ne se déclarent pas satisfaits.