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peu marqué, mais ils éprouvent les plus grandes difficultés à communiquer leurs pensées, non à cause de l’embarras de la parole, mais par suite de la perte de la mémoire des mots. Ce qui prouve que dans ces cas les malades savent parfaitement ce qu’ils veulent dire, c’est d’abord l’expression de leur physionomie, ensuite les indications qu’il donnent à l’aide des gestes, l’impatience qu’ils manifestent quand on ne les comprend pas, enfin la satisfaction qu’ils témoignent lorsqu’on leur donne l’objet qu’ils demandent, ou lorsqu’on leur fournit le mot qu’ils cherchent et qu’ils répètent alors à plusieurs reprises avec l’expression d’un véritable contentement.

Mais ces faits bien connus de trouble du langage à la suite d’affections cérébrales, organiques ou traumatiques, ne sont pas les seuls à noter. Les plus curieux, sur lesquels on n’a pas suffisamment attiré l’attention, sont relatifs à la troisième catégorie, c’est-à-dire à la rupture du rapport qui existe naturellement entre les mots rappelés par la mémoire et leur expression par la parole ou par l’écriture. Les recueils scientifiques contiennent un assez grand nombre de faits de ce genre, observés dans le ramollissement et l’apoplexie, et surtout à la suite d’affections traumatiques, de chutes sur la tête ou de commotions cérébrales ; mais on les a trop considérés comme des faits exceptionnels, bizarres, complètement individuels, et ne pouvant en rien servir à la science. C’est un mérite de Winslow d’en avoir réuni un grand nombre, et de leur avoir ainsi donné, par leur réunion, une importance qu’ils n’avaient pas dans leur isolement. Nous en citerons quelques-uns, pour faire bien comprendre leur véritable nature.

Il est des cas dans lesquels le malade pense un mot et en dit un autre, malgré lui et contrairement à sa volonté bien arrêtée : dans ces cas, tantôt ce phénomène n’a lieu que lorsque le malade parle spontanément, et si un interlocuteur lui fournit le mot qu’il voulait dire, il parvient à l’articuler au moment même ; tantôt au contraire il ne peut pas articuler ce mot, même quand on l’a prononcé devant lui, et il est contraint de répéter à sa place le mot qu’il avait primitivement employé. Dans d’autres circonstances, les malades ne peuvent exprimer que la moitié des mots, ou bien ne peuvent pas articuler certaines lettres, certaines syllabes, ou bien encore sont obligés, malgré eux, d’ajouter une même lettre, une même syllabe, à tous les