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dives. On ne le prend jamais en défaut, à quelque date que remonte l’aventure, et sa persuasion, à force d’être monotone et circonscrite, devient communicative.

L’assistant néanmoins ne consent à se laisser convaincre que si l’histoire l’intéresse personnellement ; or, les deux sentiments qui se prêtent le mieux à cette façon d’entraînement sont, à coup sûr, la crainte et l’espérance. L’un et l’autre n’empruntent aux réalités présentes qu’un point de départ ; leur domaine vrai est dans l’avenir, et partant dans l’inconnu. Autant il est facile à un homme d’acquérir la certitude que vous n’êtes pas riche, autant il lui est malaisé de garantir que vous ne le deviendrez pas. Le législateur, en définissant l’escroquerie, impose une pénalité à « quiconque, soit en faisant usage de faux noms ou de fausses qualités, soit en employant des manœuvres frauduleuses pour persuader l’existence de fausses entreprises, d’un pouvoir ou d’un crédit imaginaire, pour faire naître l’espérance ou la crainte d’un succès, d’un accident ou de tout autre événement chimérique…, aura escroqué ou tenté d’escroquer la totalité ou partie de la fortune d’autrui ». Qu’on supprime toutes les épithètes qui impliquent une responsabilité de la part du délinquant, et on aura la formule des délires qui trouvent des adhérents.

La conformité d’idées répond à une conformité de sentiments, toutes les fois qu’il s’agit d’un possible et que la raison ne se révolte pas. Or, les aliénés, dont les conceptions délirantes se dépensent en prévisions inquiétantes ou consolantes, sont, en somme, ceux qui se rapprochent le plus de l’état physiologique. On pourrait, par des gradations insensibles, marquer le passage des simples dispositions de caractère à la folie, en commençant par les gens craintifs ou enclins à d’infatigables espérances, pour aboutir aux aliénés terrifiés, aux mélancoliques absorbés par une appréhension incessante, ou aux ambitieux à satisfactions toujours prochaines. Cette forme d’aspiration délirante n’éveille donc pas une répulsion, et, à ses degrés moyens, elle appelle moins la négation que le doute. Combien de fois le médecin, même expérimenté, se demande-t-il si l’entrée en matière n’a pas été un accident réel, au lieu d’être un événement chimérique, et hésite-t-il entre une exagération et une aberration sentimentale.

Dans le délire à deux, l’aliéné, l’agent provocateur, répond, en